Les Conjurés De Pierre
Resquiescat in pace », les matelots jetèrent le corps de Liutprand à la mer.
Il fallut une journée entière pour effacer toute trace du combat sur le galion. À la tombée de la nuit, le capitaine put enfin donner l’ordre de hisser les voiles.
Tous se retrouvèrent pour le dîner qui se déroula en silence. Le plénipotentiaire finit par lever son verre en disant d’une voix solennelle :
— Buvons en souvenir de messire Liutprand qui fut, des années durant, un fidèle compagnon.
— À messire Liutprand ! répétèrent-ils tous d’une seule voix.
— Comment vais-je vivre désormais sans lui ? dit Lucrezia avec un air sincère tout en secouant la tête.
Pendant près de dix ans, le mage l’avait épaulée dans toutes ses décisions et, suppléant aux incapacités du padre, il avait apporté les réponses aux questions qu’elle se posait. Bien que le plénipotentiaire ait toujours douté des prédictions, il n’en avait pas moins apprécié cet homme averti et intelligent.
— Nous te trouverons un autre mage, dit Paolo Carriera à sa femme en guise de réconfort. Nul n’est irremplaçable.
— Sauf messire Liutprand, s’entêta Lucrezia comme une petite fille. C’était un homme unique en son genre.
Voyant Afra approuver son épouse de la tête, le plénipotentiaire se crut autorisé à poser une question :
— Quant à vous, donna Gysela, je ne sais si je me trompe, mais il me semble que messire Liutprand vous a profondément marqué.
— Vous vous méprenez.
— En tout cas, je crois que vous aviez fait forte impression sur lui, et cet avenir qu’il avait lu dans les lignes de votre main, l’avait manifestement troublé. Ses dernières paroles ont d’ailleurs été pour vous.
Afra jeta un regard embarrassé sur l’assemblée.
— Qu’a-t-il dit exactement ? poursuivit-il. Si je me souviens bien, messire Liutprand aurait aimé voir une femme réduire le pontife à sa merci. Un adieu qui laisse songeur... Avez-vous une explication ?
Les dernières paroles du mage hantaient Afra. Il était indéniable qu’il excellait dans son domaine. Ses révélations pouvaient s’avérer justes si on tenait compte de l’existence du mystérieux parchemin. À Strasbourg, frère Dominique avait déjà fait une sombre allusion de ce genre.
Perdue dans ses pensées, Afra répondit :
— Non, messire Paolo, je n’ai pas d’explication. N’oublions pas qu’au seuil de la mort, un homme tient souvent des propos singuliers.
— En tout cas, ses propos étaient tout sauf confus. On avait presque l’impression qu’il riait en pensant à ce qu’il venait de vous prédire.
— Il ne se serait quand même pas moqué du pape de Rome ? demanda le padre affligé en esquissant un rapide signe de croix.
Le plénipotentiaire se pencha vers le padre et s’appuya sur les coudes :
— Qui d’autre qualifieriez-vous de pontife si ce n’est le pape de Rome ?
Le padre hocha la tête sans répondre.
Les convives se turent un instant, tous en proie à une étrange émotion. Le plénipotentiaire rompit le silence :
— Je crois que donna Lucrezia a quelque chose à nous dire.
L’épouse du plénipotentiaire s’éclaircit la voix avant de dire timidement :
— Vous avez sans doute tous compris, et ceux qui ne le savaient pas encore le sauront désormais, que donna Gysela m’a sauvé la vie pendant l’attaque des pirates. Sans son courage, je reposerais à l’heure actuelle au fond de la mer enveloppée dans une voile comme messire Liutprand. Elle fit une pause. Son geste est d’autant plus admirable que je me suis montrée méprisante et désagréable envers elle. Elle se tourna vers Afra. J’espère que vous me pardonnerez.
— Vous n’avez pas besoin de me demander pardon, donna Lucrezia. Ma présence à bord pouvait légitimement vous importuner. Je n’ai fait que mon devoir de chrétienne.
Afra se sentait mal à l’aise, car elle savait pertinemment que ce n’était pas son sens du devoir qui lui avait dicté sa conduite. Elle avait couru spontanément sans réfléchir au secours de Lucrezia.
— Quoi qu’il en soit, dit Lucrezia en levant les mains, je vous dois la vie. Pour vous remercier, j’aimerais vous donner la chose la plus précieuse que je possède.
Afra regarda Lucrezia avec de grands yeux retirer de son doigt un gros rubis serti de diamants.
— Cette bague a une longue histoire. à l’intérieur de l’anneau, vous verrez une
Weitere Kostenlose Bücher