Les Conjurés De Pierre
d’Afra et lui dit, bouleversé et déconcerté en regardant la flèche fichée dans la porte :
— Vous venez de sauver la vie de donna Lucrezia !
— Ce n’est pas le problème ! répliqua Afra. Allez chercher le médecin, je crois que Liutprand est mort.
L’instant d’après, Liutprand ouvrait les yeux. Il faisait pitié à voir sans son chapeau avec son crâne chauve.
— Dieu du ciel, il est encore vivant ! s’exclama Lucrezia qui venait d’arriver.
— Il vit ! renchérit le plénipotentiaire.
La poitrine de Liutprand se soulevait et s’abaissait par à-coups violents. Il respirait bruyamment cherchant à happer de l’air.
Le dottore et le padre apparurent enfin. Éblouis par la lumière, ils jetaient des regards éberlués autour d’eux. En voyant Liutprand étendu, le médecin se pencha vers lui et posa son oreille sur sa poitrine tandis que le padre joignait les mains en marmonnant un charabia de prières – du reste, qu’aurait-il pu faire d’autre !
— Mais, nom d’un chien, dites quelque chose ! lança Lucrezia au médecin.
Le médecin leva les yeux et secoua tristement la tête.
Lucrezia se retourna et cacha son visage entre ses mains. Le silence se fit sur le pont. Les matelots se rassemblèrent autour du mage couché par terre.
— Bande de mécréants, que faites-vous là à regarder comme ça ! N’avez-vous rien d’autre à faire ! s’écria le capitaine hors de lui. Allez éteindre le feu, jetez les morts à la mer et nettoyez le pont. Allez, au travail !
Les matelots s’écartèrent en marmonnant. Ils prirent des seaux qu’ils remplirent d’eau. Peu de temps après, le feu était éteint.
Hormis quelques légers dégâts, l’ Ambrosia n’avait subi aucune avarie sérieuse.
La passivité du médecin penché au-dessus du mage révoltait Afra :
— Dottore Madathanus, pourquoi restez-vous là sans lever le petit doigt ?
Le médecin haussa les épaules :
— C’est que je crains…
— Donnez-lui une de vos potions ou un de vos remèdes miracle ! Vous n’allez pas le laisser mourir sans rien faire !
Le plénipotentiaire acquiesça d’un signe de tête et Madathanus descendit à l’entrepont.
Liutprand cherchait toujours désespérément à respirer. Son corps était parcouru de soubresauts qui incitaient le padre à redoubler de prières.
Afra était toujours agenouillée devant le mage. Alors qu’elle ne s’y attendait pas, Liutprand ouvrit les yeux et lui lança un regard vif, presque machiavélique, puis leva une main affaiblie pour lui faire comprendre de se rapprocher, comme s’il voulait lui susurrer quelque chose à l’oreille. Afra obtempéra et se pencha sur le moribond.
Liutprand faisait des efforts pour parler. Il suffisait de regarder son visage tordu de douleur pour comprendre combien il lui en coûtait.
— J’aurais aimé voir… une femme… réduire le pontife à sa merci, dit-il lentement et distinctement de telle sorte que tous purent l’entendre.
Ce furent les dernières paroles du mage qui, comme ses confrères, se targuait de connaître le destin de ses semblables sans pour autant pouvoir deviner le sien.
Lorsque Lucrezia comprit que messire Liutprand était mort, elle se mit à gesticuler à et hurler comme une forcenée. Les mains levées au ciel, elle maudit les pirates païens, puis remercia Dieu de leur avoir infligé la punition qu’ils méritaient. Paolo Carriera et le padre évitèrent de justesse qu’elle n’aille s’empaler sur une des flèches ennemies encore fichées dans le pont.
Lucrezia se calma un instant, puis recommença à se lamenter en entendant son époux charger le capitaine d’envelopper le corps du mage dans un linge pour le rendre à la mer, comme le veut la tradition des marins. Le padre prit le ciel à témoin pour affirmer que cette coutume n’allait pas à l’encontre des lois de la Sainte Mère l’ é glise et que le pape ne condamnait pas cette pratique. Rassurée par ses propos, elle finit par accepter qu’on procède à la cérémonie.
On enveloppa le mort dans une petite voile de misaine blanche en guise de linceul, puis on fixa sur la momie une croix et, pour être sûr qu’elle coule, on lesta le corps avec deux pierres servant ordinairement à maintenir fermés les couvercles des tonneaux de poissons et de viande en saumure.
Les marins s’alignèrent le long du bastingage et le padre dit de pieuses prières. Quand il eut répété trois fois «
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