Les Conjurés De Pierre
inscription gravée indiquant que la bague porte bonheur à celle qui la porte.
Afra resta sans voix. Elle ne possédait aucun bijou et n’aurait jamais imaginé qu’elle put un jour porter des pierres aussi belles montées sur une bague en or. Elle prit la bague entre son pouce et son index et la regarda, incrédule, comme s’il s’agissait d’un trésor.
— Prenez-la, elle vous appartient ! l’encouragea Lucrezia.
— Je ne peux accepter, balbutia Afra quand elle eut retrouvé l’usage de la parole, vraiment pas, donna Lucrezia. Ce cadeau a trop de valeur !
Lucrezia eut un sourire condescendant :
— Qu’y a-t-il de plus précieux dans la vie que l’or ou les diamants, si ce n’est la vie elle-même ! Prenez cette bague et conservez-la avec soin !
Afra glissa la bague à l’annulaire de sa main gauche. Le scintillement des pierres à la lueur des bougies lui rappelait les histoires et les légendes que lui racontait son père quand elle était petite. Les reines et les princesses portent toujours des bijoux mais, cette fois, c’était elle qui portait une bague à son doigt.
Elle était émue, au bord des larmes.
Le repas se déroula dans un silence pesant. La veille au soir, tous étaient réunis autour de cette table. L’un d’eux manquait aujourd’hui, et sa mort affectait chacun des convives.
Le plénipotentiaire, qui pourtant n’appréciait pas particulièrement le mage, était bouleversé. Il but d’ailleurs ce soir-là plus que de raison. La paupière lourde et l’estomac révulsé, il se leva péniblement et sortit d’un pas titubant en rotant pour aller vomir par-dessus le bastingage. Avant de se séparer pour la nuit, Lucrezia prit Afra dans ses bras et l’embrassa.
L’attaque des pirates leur avait valu un jour de retard, mais le lendemain, les vents leur furent favorables. L’ Ambrosia atteignit sans encombre son port d’attache dix jours exactement après avoir quitté Venise.
Naples, située dans le golfe entre le Monte Calvario et le massif du Castel San Elmo, était une ville déjà fortement peuplée à l’époque.
La pauvreté des pêcheurs et des marins y côtoyait l’opulence du clergé et des églises. Naples était bruyante, sale et contestataire, mais elle jouissait d’une situation remarquable, protégée au nord par le sommet arrondi du volcan et ouverte au sud sur la mer.
Les Napolitains, rarement de souche, venaient pour la plupart de peuples et de races différentes ; ils s’accordaient néanmoins tous unanimement à dire qu’on ne pouvait qu’adorer ou haïr leur ville.
Le plénipotentiaire et son épouse appartenaient indubitablement au clan des amoureux de Naples. Après une longue absence, ils étaient ravis de revenir dans leur ville et de retrouver, sur les collines du Monte Posillipo, leur maison, qui ne pouvait pourtant pas rivaliser avec le luxe du somptueux palais dans lequel ils logeaient à Venise.
Afra s’était liée d’une amitié sincère avec Lucrezia et son mari qui avaient mis à sa disposition une chambre avec vue sur le golfe de Naples.
Malgré les avantages que lui procurait sa fausse identité, Afra se sentait assez mal à l’aise et il arriva un moment où elle dut faire comprendre au plénipotentiaire qu’elle ne pouvait abuser plus longtemps de son hospitalité.
Il lui proposa alors spontanément une voiture, des chevaux et un cocher qui la conduirait en toute sécurité jusqu’au Mont-Cassin et la ramènerait.
Afra déclina l’offre. Paolo Carriera lui offrit alors une voiture plus modeste et son meilleur cheval... Il insista pour qu’elle accepte et lui donna, en plus, une bourse d’argent.
Parée pour le voyage, Afra prit la route du Mont-Cassin. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas conduit d’attelage, mais le robuste cheval doté d’un caractère paisible se mit docilement au trot.
Elle suivit les conseils du plénipotentiaire, qui lui avait indiqué de passer par la voie appienne couverte de dalles en pierre et suffisamment large pour permettre à deux voitures de se croiser
10
Derrière les murs de l’abbaye
Le premier jour de voyage amena Afra à traverser une plaine fertile mais marécageuse. Des nuées de moustiques s’abattirent sur elle et son cheval. L’air humide et lourd sentait la vase. Afra arriva le soir à Capoue, une petite ville fortifiée, blottie dans une boucle du Volturno. La ville avait connu une période de gloire depuis longtemps révolue et ses
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