Les Conjurés De Pierre
ses dernières forces, elle s’agrippa à la porte.
Afra se sentit tout à coup soulagée. Lucrezia venait de l’arracher à son cruel dilemme.
Mais, a posteriori, Afra eut honte de son hésitation. Les regards des deux femmes se croisèrent. Elles se regardèrent sans dire un mot.
Lucrezia referma la porte de la cabine et y resta appuyée pour reprendre son souffle, puis elle essuya son front ruisselant de sueur.
Afra remarqua soudain sur le pont du bateau pirate un archetier pointant son arme. Le solide gaillard tendait fortement l’arc au risque de le briser. Il visait donna Lucrezia.
Et là, sans réfléchir, Afra bondit sous les flèches qui pleuvaient au-dessus du pont, courut vers donna Lucrezia et se jeta sur elle.
Lucrezia tomba par terre. La seconde d’après, la flèche du pirate s’enfonçait dans la porte de la cabine en émettant une vibration plaintive, semblable à celle que produit la corde d’un violon qui se casse.
Les deux femmes, choquées, regardèrent le funeste projectile. Lucrezia était pétrifiée d’effroi. Afra recouvra rapidement ses esprits.
Et, saisissant Lucrezia par la main, elle traîna la femme paralysée de peur sur le pont jusqu’au gaillard d’avant où Afra s’était auparavant réfugiée.
À peine avaient-elles atteint ce refuge que deux explosions déchiraient l’air, suivies d’un fracas aussi assourdissant que le grondement du tonnerre pendant un orage.
— Touché ! hurla le capitaine, qui se mit à danser comme un faune sur le pont supérieur.
Afra ne mesura les conséquences réelles de l’explosion qu’en voyant l’étrave du navire ennemi se lever lentement, presque paresseusement, puis se cabrer comme un cheval effarouché avant de s’enfoncer doucement dans l’eau.
Les pirates sautèrent à la mer en poussant des cris. Quelques-uns tentèrent de gagner l’ Ambrosia à la nage sous les tirs impitoyables des arquebusiers, qui s’obstinèrent jusqu’à ce que le dernier eût disparu dans les eaux.
La mer entre l’épave et l’ Ambrosia se teinta de rouge. Des planches, des poutres, des tonneaux et des caisses tourbillonnaient à la surface de l’eau agitée par les remous.
Le navire naufragé s’était immobilisé un instant à la verticale dans l’eau, avait rejeté tout son ballast, lorsque subitement, sans qu’on s’y attende, il coula à pic. L’ Ambrosia se mit à tanguer et rouler dangereusement.
Les matelots exultaient de joie, élevant leurs armes au-dessus de leur tête. Lorsque la vigie signala que l’autre bâtiment avait viré et prenait la fuite, il y eut un nouveau débordement de liesse.
Afra avait assisté, à genoux, au naufrage du galion ennemi, à côté de Lucrezia qui, étendue sur le dos, respirait difficilement.
— De l’air, de l’air ! balbutiait-elle. Le feu !
Afra comprenait à peine ce qu’elle disait. Elle se pencha et lut sur ses lèvres : « Liutprand ! »
— Liutprand ? Que se passe-t-il avec Liutprand ?
D’un geste las, Lucrezia montra le gaillard d’arrière. Des vitres brisées et des fentes dans les portes s’échappait toujours de la fumée.
Afra se leva et fit signe à un des arquebusiers en train de danser de la suivre.
Le pont était glissant, maculé de sang et jonché de flèches. Dans le délire assourdissant de la victoire, personne ne semblait préoccupé par les deux matelots morts. Afra fit signe à l’arquebusier d’avancer.
Le matelot hésita, puis voyant Afra s’élancer sans hésitation, il la suivit à l’intérieur. La main plaquée sur la bouche, Afra progressait dans la fumée.
Elle fit comprendre au matelot qu’il devait regarder dans la cabine de droite et entra elle-même dans celle de gauche.
La fumée venait de la cabine de Lucrezia, dont la porte était entrebâillée. Afra la poussa du pied.
Le feu avait pris dans le lit de Lucrezia, dans la paille servant de matelas.
Elle s’apprêtait à sortir quand elle aperçut le mage étendu derrière la table. Liutprand, couché sur le ventre, le visage enfoui dans ses bras, ne bougeait pas, comme s’il ne voulait pas savoir ce qui se déroulait autour de lui. Afra appela le matelot à l’aide.
Ils sortaient Liutprand sur le pont quand ils virent Paolo Carriera arriver à leur rencontre avec un air encore ahuri. Il ne remarqua même pas le mage couché par terre.
— Faites venir le médecin ! lui dit Afra sur un ton autoritaire.
Carriera hocha la tête. Puis il se rapprocha
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