Les Conjurés De Pierre
avait qu’un attelage et quelques vieilles carrioles branlantes.
À part cela, il n’y avait pas âme qui vive.
— Jeune homme, combien de temps voulez-vous rester ici ? demanda frère Jean en aidant Afra à rentrer le cheval et la voiture.
— Cela dépend de la façon dont j’avancerai dans mes recherches.
— Si vous le voulez, ajouta frère Jean un peu gêné, je peux vous conduire au frère Athanase, le frère hôtelier. Il prendra soin de vous et veillera à ce que votre cheval ne manque de rien.
Afra accepta et le remercia. En s’approchant de l’entrée de l’hostellerie, elle leva les yeux vers l’abbaye. Vu de près, l’ensemble des bâtiments était encore plus imposant, plus impressionnant et plus dissuasif qu’on ne l’imaginait du fond de la vallée.
On découvrait aussi à cette distance les murs délabrés et les fenêtres ouvertes à tous les vents.
Par endroits, l’abbaye n’était plus que ruines. Le soir tombait. La lumière crépusculaire et le divin silence enveloppaient les bâtiments de mystère. Et c’est ici que les moines vivent selon la règle de saint Benoît ?
Afra s’apprêtait à poser cette question. Mais frère Jean, qui s’attendait à la réaction d’Afra en découvrant la détérioration de l’abbaye, reprit la parole :
— Pour ne rien vous cacher, l’abbaye du Mont-Cassin est menacée. Une menace bien réelle. Non seulement les murs s’écroulent, mais les hommes qu’ils abritent sont malades et brisés. Pour la plupart en tout cas.
Frère Jean plaqua la main devant sa bouche et se tut subitement, comme s’il regrettait ce qu’il venait de dire. Afra était elle aussi troublée :
— Qu’entendez-vous par là, frère Jean ?
Le moine balaya la question d’un revers de la main :
— J’aurais mieux fait de me taire. Mais tôt ou tard, vous auriez découvert ce qui se cache derrière ces murs. Deux jours suffisent pour s’en rendre compte.
Les propos du moine éveillèrent la curiosité d’Afra. Mais elle ne chercha pas à approfondir la question tant elle était lasse. Elle aurait suffisamment de temps dans les jours suivants pour s’en occuper.
Un gros moine vêtu d’une bure blanche avec un immense tablier noué à la taille les accueillit à l’entrée de l’hostellerie. Frère Jean lui présenta Elia qui sollicitait son hospitalité pour quelques jours.
— Si cela vous convient, je passe vous chercher demain matin après tierce. Je vous présenterai à notre frère bibliothécaire.
Afra trouva l’initiative de frère Jean un peu déplacée. En dépit de son déguisement mais aussi grâce à lui, elle se sentait assez sûre d’elle-même.
Elle n’avait besoin de personne pour l’aider. Après un bref instant de réflexion, elle finit par accepter sa proposition. Il était peut-être bien intentionné.
Quant à elle, les événements fâcheux des dernières semaines l’avaient peut-être rendue trop méfiante.
Frère Athanase était le seul moine vivant hors les murs.
La lourde porte en fer de l’abbaye se fermait le soir après les vêpres pour ne s’ouvrir qu’à prime le lendemain matin. Frère Athanase avait une grosse tête rougeaude semblant une boule de braise.
Ses cheveux roux coupés au bol, comme ceux d’Afra, rehaussaient son teint rubicond.
Contrairement aux bénédictins généralement austères, frère Athanase était d’un naturel jovial qui étonna Afra. Alors, le bénédictin s’expliqua :
— Il est vrai que le rire semble exclu du n ouveau comme de l’ a ncien t estament. En revanche, il n’est écrit nulle part que la bonne humeur et la joie sont interdites sur cette terre. Je ne vois pas pourquoi le Seigneur aurait inventé le rire pour l’interdire ensuite.
Après avoir pris une frugale collation, un plat original de champignons garnis de petites saucisses à base de mie de pain, frère Athanase lui offrit un verre de vin rouge provenant des vignes qui poussent sur les terres brûlées du Vésuve – comme lui précisa le frère aubergiste en lui faisant un clin d’œil.
La nuit était tombée. Frère Athanase n’attendait plus d’autre client. Il vint s’installer sur la longue table près d’Afra et commença spontanément à bavarder. Au détour de la conversation, il demanda par simple curiosité à Afra d’où elle venait.
Afra lui dit la vérité, elle ne voulait pas s’enferrer dans de nouveaux mensonges :
— Je viens du nord des Alpes, de
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