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Les Conjurés De Pierre

Les Conjurés De Pierre

Titel: Les Conjurés De Pierre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philipp Vandenberg
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– qui devait avoir environ une trentaine d’années – se releva. Ce n’est qu’à ce moment précis qu’Afra vit sa bosse.
    — Un peintre ne peut immortaliser que ce qu’il lui a été donné de contempler au moins une fois dans sa vie, dit-il, et vous conviendrez que Cécile, la belle et noble romaine, est morte voilà plus de mille ans. Comment aurais-je pu l’admirer ? Mon imagination ne suffit pas à rendre mon œuvre fidèle. Dans cette abbaye, les nonnes devant me servir de modèle ressemblaient plus à sainte Livrade, que Dieu fit barbue et les jambes torses lorsque son père, poussé par la perversité, voulut abuser d’elle. Mais vous, ma belle enfant, vous êtes la première qui corresponde à l’idée que je me suis faite de sainte Cécile. Vous êtes merveilleuse.
    L’abbesse trouvant, semble-t-il, les propos du peintre totalement inconvenants fit une bouche pincée, puis lança à Afra un regard interrogateur.
    Afra se sentait mal à l’aise. à quoi ressemblait-elle ? é tait-elle belle ou laide ? Personne jusqu’à présent ne lui avait fait de remarques allant dans un sens ou dans l’autre.
    Elle ne s’était jamais regardée dans un miroir pour la simple raison qu’il n’y en avait pas dans la ferme du bailli. Une fois, elle avait vu son visage se refléter dans l’eau du puits.
    Mais un caillou était tombé et le reflet s’était déformé dans l’eau ondoyante comme l’œil dans le bouillon. Son corps était jeune et parfait, et sa grossesse n’avait pas entamé l’élasticité de sa peau. De toute manière, elle ne s’en était jamais préoccupée jusqu’à maintenant. Seuls les gens de la ville et les riches s’intéressaient à la beauté. Subitement, quelqu’un lui disait qu’elle était merveilleusement belle. Les paroles du peintre la plongeaient dans la plus grande confusion.
    — Vous devez poser pour moi ! insista le peintre bossu.
    Afra interrogea du regard l’abbesse qui observait de ses yeux mi-clos le peintre résolu. Devait-elle le prendre au sérieux ?
    — Afra ne fait pas encore vraiment partie de notre communauté. Elle n’a pas encore commencé son noviciat, bien qu’elle porte notre habit. Je ne peux prendre de décision à sa place. C’est à elle de décider si elle veut se mettre au service de ton inspiration, répliqua l’abbesse.
    — Vous le devez pour sainte Cécile, insista Alto avec effusion, faute de quoi, je ne finirai jamais mon tableau ! Il s’empara de la main d’Afra et la secoua vivement. Je vous en supplie, ne refusez pas ! Il ne vous arrivera rien de mal. Je vous donnerai deux florins. Je vous attends demain vers midi dans le magasin derrière le scriptorium. Dieu soit avec vous !
    Tel un noble seigneur, il recula son pied droit derrière le gauche, posa sa main droite à plat sur son cœur et fit une petite révérence, une révérence qui s’adressait manifestement à Afra. Puis il partit d’un pas léger vers l’église.
    Afra et l’abbesse gravirent en silence l’escalier raide menant au scriptorium. Pour la première fois de sa vie, Afra se sentait flattée. Son cœur battait rien qu’à l’idée de servir de modèle pour la sainte Cécile du triptyque. Il semblait donc qu’elle soit plus belle que d’autres. Elle en prenait conscience et en tirait une certaine vanité encore jamais éprouvée. Elle était subitement fière de son corps.
    L’abbesse s’arrêta devant la porte du scriptorium, et comme lisant dans les pensées d’Afra, lui dit :
    — Tu sais ma fille, le contentement de soi est un péché, encore plus répréhensible dans l’enceinte de cette abbaye qu’à l’extérieur. La vanité, la coquetterie et l’orgueil sont bannis à l’intérieur de ces murs. La beauté s’incarne dans toutes les œuvres du Seigneur sans exception y compris dans celles que l’on considère habituellement comme laides. Et si Alto von Brabant te trouve plus belle qu’une autre, c’est qu’il accorde plus de prix aux beautés terrestres qu’aux vertus célestes. Du reste, ce n’est pas un hasard puisqu’il vient d’Anvers où les mécréants fleurissent.
    Afra hocha la tête, feignant d’approuver. Mais en vérité, elle n’était pas dupe des propos de l’abbesse que seules la jalousie et la malveillance pouvaient lui inspirer.
    Quand elles pénétrèrent dans le sombre scriptorium, Mildred et Philippa, les deux copistes debout à leurs pupitres, levèrent à peine les yeux des livres

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