Les Conjurés De Pierre
commanditaire du crime se prélassait entre les mains de baigneuses, qui le massaient avec des onguents délicieusement parfumés.
Afra fut bien embarrassée lorsque le tailleur Varro da Fontana lui livra deux jours plus tard sa robe.
Elle n’avait jamais eu une si belle parure, dans une fine étoffe d’un vert soyeux, dont la jupe droite resserrée sous la poitrine lui tombait jusqu’aux pieds.
Le décolleté carré et plongeant, gansé d’un ruban de velours, s’ouvrait comme une invitation sur sa gorge. Un grand col couvrait ses épaules et les manches amples ressemblaient à celles des robes que portent les nobles dames.
Fontana avait réalisé une robe qui lui allait véritablement comme un gant.
Dans la maison de Bernward, il n’y avait pas de miroir lui permettant de voir à quoi elle ressemblait ainsi vêtue.
Rien qu’en jetant un petit coup d’œil sur la jupe, elle sentit son cœur se mettre à battre plus vite. à quelle occasion une modeste serveuse comme elle pourrait-elle bien porter ce genre de parure ?
Ulrich von Ensingen se comportait toujours aussi étrangement. Afra ne savait quelle attitude adopter avec lui. D’un côté, il était si distant qu’elle n’aurait pas osé lui rendre visite et, de l’autre, il venait de lui faire confectionner une merveilleuse robe sur mesure qu’aurait jalousé toute femme de riche bourgeois.
Il lui arrivait parfois de douter affreusement : maître Ulrich s’amusait-il à ses dépens ? Tirait-il un malin plaisir à lui offrir une robe qui ne convenait pas à sa condition ? Ces questions la poursuivaient et lui causaient des insomnies.
Alors elle se levait, allumait une chandelle et regardait la robe verte suspendue dans son armoire.
Dans ses rêves, elle voyait une jeune fille dont elle n’aurait su dire si c’était elle ou une autre parce que son visage restait toujours dans l’ombre.
La jeune fille courait sur la place de la cathédrale poursuivie par une meute de jeunes gens hurlants, avec à leur tête Ulrich von Ensingen.
Quand on rêve, on est censé normalement ne pas bouger, nos membres sont lourds comme du plomb, or la jeune fille, légère comme une plume, sautillait et s’élançait comme un oiseau pour aller se poser sur les toits d’une maison dans une grande et vieille ville. Afra s’éveillait par moments et tentait en vain de décrypter cet étrange rêve.
Cela aurait pu continuer ainsi, peut-être même jusqu’au Jugement dernier s’il ne s’était pas produit un événement inattendu, inouï et aussi inconcevable pour Afra qu’indulgence plénière.
3
Le parchemin vierge
Le mois de mai était là et le printemps avait fait son apparition. Contrairement aux années précédentes, les températures ne s’étaient pas véritablement radoucies. Des vents tièdes venant du sud faisaient parfois oublier l’humidité et la fraîcheur. La fête du printemps sur la place du marché attirait les jeunes et les anciens ainsi que de nombreux curieux venant de très loin.
C’était l’occasion pour les marchands et les artisans de la ville de vendre leurs produits, pour les jongleurs, les saltimbanques et les comédiens itinérants de présenter leurs numéros aux braves bourgeois. Partout, on dansait dans les tavernes et les auberges.
Bernward, le pêcheur, et sa femme Agnès s’étaient rencontrés à la fête du printemps, le premier dimanche de mai.
Cela remontait à des années, à tant d’années qu’ils n’arrivaient même plus à se souvenir de la date exacte, mais, depuis, ils avaient pris l’habitude de retourner tous les ans le soir du bal, sur les lieux de leur première rencontre au Hirschen , une auberge de la Hirschgasse fréquentée essentiellement par des maîtres artisans. Et, ce printemps-là, ils ne dérogeraient pas à la tradition.
Les travaux du chantier de la cathédrale étaient interrompus pour l’occasion. Afra avait passé le plus clair de son temps sur la place du marché.
Elle aimait la cohue, les étrangers et les attractions proposées à défaut d’autres distractions. Un forgeron l’invita à danser, mais elle refusa catégoriquement. Non, elle ne voulait rien avoir affaire avec les hommes et s’en portait très bien ainsi.
Afra ressentait toujours une grande attirance pour maître Ulrich, et avait cherché sans succès à le revoir. Elle savait qu’il était beaucoup plus âgé qu’elle et, de surcroît, marié.
Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle attendait
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