Les Conjurés De Pierre
divertissement agréable et un spectacle méritant le détour.
Les exécutions n’avaient pas lieu intra-muros, car le bourgeois irréprochable répugnait à voir le bourreau et à assister à un tel spectacle. Le bourreau habitait toujours à l’extérieur de la ville et, pour peu qu’il ait des filles à marier, le malheureux désespérait de leur trouver un mari. Les différences de statut social se reflétaient dans les peines infligées comme dans la vie courante. La décapitation était considérée comme honorable tandis que le bûcher ou la pendaison relevaient du plus grand déshonneur.
De ce fait, l’événement du lendemain n’était pas du goût de la bonne société. En revanche, le peuple en liesse se pressait déjà en dansant derrière le candidat à la corde qui accomplissait son dernier voyage, voituré par un âne – le comble de l’humiliation et du déshonneur. Le public accueillait joyeusement l’événement. Le curé marchait en tête, un crucifix à la main, en feignant de marmonner d’ardentes prières alors qu’il semblait plutôt intéressé par les jolies filles des bourgeois qui se penchaient, encore tout ensommeillées, à leurs fenêtres.
Le bourreau attendait le cortège sur le lieu de l’exécution à proximité des portes de la ville.
Il portait une longue robe de bure en lin grossier ceint à la taille d’un large ceinturon de cuir. Le bonnet de peau coiffant son crâne rasé prêtait à rire car, à chaque mouvement de sa tête, il se pliait légèrement.
La potence attendait le criminel : deux poteaux de bois plantés en terre, surmontés d’une solive transversale à laquelle le bourreau avait laissé le dernier pendu en guise d’avertissement. Son corps putréfié et odorant se balançait dans l’air du matin. Des nuées de mouches bourdonnaient et grouillaient sur le corps pour grappiller quelque nourriture.
Les sergents avaient administré au condamné, Leonhard Dümpel, une potion à base de mandragore le privant partiellement de sa conscience.
Une fois arrivé devant le gibet, on lui retira les chaînes qui l’entravaient. Il obéissait docilement aux ordres et saluait même joyeusement la foule comme s’il n’était pas concerné par la cérémonie.
Le curé, adossé à un des poteaux du gibet, reçut sa confession. Le condamné à mort acceptait son sort avec un grand détachement répétant inlassablement :
— C’est bien comme ça. C’est bien comme ça.
— Qu’attends-tu pour pendre cette canaille ! lança un vieil homme excédé au bourreau. Nous sommes impatients.
— Qu’on le pende ! cria la foule en chœur.
Le bourreau appuya une échelle contre la barre transversale du gibet, grimpa dessus et accrocha, à une coudée du cadavre en décomposition, la corde avec le nœud coulant. Puis il roula un tonneau qu’il plaça à la verticale sous la corde, fit signe au condamné de monter dessus et lui passa la corde autour du cou.
Les badauds se turent soudain. Bouche bée, ils dévoraient des yeux chaque mouvement du bourreau qui éloignait maintenant l’échelle.
Personne ne bougeait.
Seule la corde à laquelle était suspendu le cadavre à moitié décomposé gémissait par moments au gré des courants d’air.
Dümpel regardait la foule en contrebas, presque fier, semblait-il, d’attirer ainsi l’attention sur lui.
— Nous voulons l’entendre craquer ! cria le vieux, qui s’était déjà fait remarquer auparavant.
Tout le monde comprenait ce qu’il entendait par-là : il parlait de ce craquement qui survient à l’instant où le nœud se resserre brusquement sur le cou en brisant la colonne vertébrale.
— Nous voulons l’entendre craquer ! hurla à nouveau le vieux hors de lui.
Avant même qu’il se soit tu, le bourreau avait donné un violent coup de pied dans le tonneau qui versa. Le condamné bascula dans le vide. On entendit le craquement réclamé.
Dümpel se balançait maintenant au bout de la corde. Il eut une dernière convulsion, fit comme une ultime et vaine tentative d’élever les bras pour s’envoler.
La sentence avait été exécutée.
La foule applaudissait. Des femmes, le tablier encore noué autour de la taille comme si elles venaient de quitter à l’instant leur cuisine, gémissaient, faisant ainsi office de pleureuses.
Quelques enfants couraient les bras écartés, singeant les derniers gestes du pendu.
Au même instant dans un établissement de bains, le véritable
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