Les Conjurés De Pierre
de frotter ta main avec une poignée de sable humide pour l’effacer.
— Tu aurais dû devenir alchimiste !
Ulrich acquiesça.
— Cela m’aurait sans doute évité beaucoup de désagréments. Et comme nous l’avons constaté, ils ne gagnent pas si mal leur vie. Une pièce d’or pour préparer une petite mixture !
— Nous y sommes, les interrompit le passeur.
Afra et Ulrich sautèrent d’un bond sur la rive. Une fois sur la berge, l’architecte prit la jeune femme dans ses bras :
— Tu devrais réfléchir encore une fois ! Par amour pour moi, lui dit-il.
Afra savait ce qu’il entendait par-là. Elle fit une moue renfrognée, comme si elle avait mal quelque part :
— Je reste avec toi. Soit nous partons ensemble d’ici, soit…
— Tu sais bien que c’est impossible. Je ne peux abandonner ni mon travail ni Griseldis.
— Je sais, dit Afra résignée en détournant les yeux.
— S’il est vrai que je suis capable d’ériger la plus haute tour de la chrétienté, je suis incapable en revanche de faire quoi que ce soit pour toi si l’on t’accuse de sorcellerie.
— Qu’ils osent ! s’emporta Afra. De quels crimes maléfiques pourrait-on m’accuser ?
— Afra, tu sais que là n’est pas la question. Deux témoins suffisent pour que tu sois condamnée, ils prétendront t’avoir vue en compagnie d’un homme aux pieds de bouc ou diront que tu as craché sur un tableau de la Vierge Marie. Je n’ai pas besoin de t’expliquer comment ça se termine.
Afra s’arracha aux bras d’Ulrich et partit en courant. Une fois arrivée chez elle, elle s’enferma dans sa chambre. Elle jeta dans un coin l’étui avec le parchemin et s’effondra en larmes sur son lit.
En repensant au mystérieux document, son sang se mit à bouillir dans ses veines. Les paroles de son père résonnaient dans sa tête, ses allusions à une situation désespérée correspondaient bien à celle dans laquelle elle se trouvait en ce moment. Mais à quoi pourrait servir un parchemin que personne ne comprenait ? Elle se sentait totalement abandonnée.
La nuit était tombée depuis longtemps quand elle songea, dans son désespoir, à retourner voir Rubaldus. L’alchimiste était âpre au gain, un peu d’argent suffirait à le faire parler. Afra était certaine qu’il en savait plus qu’il ne le prétendait.
Elle n’était pas riche, mais elle avait économisé son salaire ainsi que tous les pourboires qu’on lui donnait à la cantine. Elle possédait une trentaine de florins, qu’elle conservait dans une bourse cachée au fond de son coffre.
Elle comptait proposer sa petite fortune à l’alchimiste en échange des informations qu’il lui livrerait.
Cette nuit-là, Afra ne put trouver le sommeil. Le lendemain matin, elle se leva aux aurores, enfila sa robe verte et se rendit sur l’autre rive du fleuve. Elle avait glissé sa petite bourse entre ses deux seins.
Une fine colonne de fumée s’échappait de la cheminée de la maison de l’alchimiste. Afra accéléra le pas jusqu’au sommet de la colline. En arrivant, elle frappa énergiquement à la porte jusqu’à ce que le petit judas s’ouvre. Au lieu d’entrevoir le visage de l’alchimiste, c’est celui de Clara qui apparut.
— Je dois parler à Rubaldus, dit Afra hors d’haleine.
— Il n’est pas là, répondit la femme, prête à refermer le judas.
Mais Afra avait déjà glissé la main dans l’ouverture pour l’en empêcher.
— Écoutez-moi ! Il n’aura pas à le regretter. Dites-lui qu’en échange de son aide, je lui donnerai dix florins.
Alors Clara retira le verrou et ouvrit la porte.
— Comme je vous l’ai déjà dit, le maître n’est pas là.
Afra ne la crut pas.
— Vous ne m’avez pas bien comprise. Je vous ai proposé dix florins ! répéta-t-elle en levant les dix doigts de sa main dans sa direction.
— Quand bien même vous me proposeriez cent florins que je ne pourrais pas faire apparaître Rubaldus d’un coup de baguette magique.
— Je vais l’attendre, répondit Afra sur un air de défi.
— Cela ne sert à rien.
— Pourquoi ?
— Le maître est parti hier pour Augsbourg. Il pensait trouver un bateau pour descendre le fleuve. Ce n’est qu’à deux jours de voyage. Il était impatient. Il voulait se rendre sans plus tarder chez l’évêque.
Afra était au bord des larmes.
Clara eut pitié :
— Je suis désolée. Si je peux vous être utile en quoi que ce
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