Les Conjurés De Pierre
raison. Il ne peut, hélas, en apporter la preuve car il est parti pour Augsbourg.
— Nous te croyons, lui dit Agnès en la serrant dans ses bras.
Afra se libéra de l’étreinte et courut se réfugier dans sa chambre. Elle avait abandonné tout espoir de voir la situation évoluer favorablement. Pour la première fois, elle songeait sérieusement à quitter Ulm. Mais auparavant, il lui restait encore une affaire à régler.
Le jour déclinait quand Afra se glissa furtivement dans l’obscurité jusqu’à la place de la cathédrale. Les parages de l’église ne manquaient pas de recoins sombres où elle pouvait se cacher pour attendre discrètement qu’Ulrich descende de sa baraque.
Cela faisait trois jours qu’ils ne s’étaient pas revus. Afra ignorait tout des réactions d’Ulrich à la mort subite de sa femme. Elle aurait aimé le serrer amoureusement dans ses bras et le consoler.
Mais pour être honnête avec elle-même, elle avait terriblement besoin de réconfort et puis, elle voulait aussi l’entendre réaffirmer qu’il valait mieux, pour elle comme pour lui, qu’elle quitte la ville.
Le visage enfoui dans sa capuche, elle se dirigeait soucieuse vers un mur derrière lequel elle voulait se mettre à l’abri des regards indiscrets. Elle bouscula une marchande rentrant chez elle, le dos chargé d’une hotte remplie de pommes. La femme trébucha, tomba et tous les fruits roulèrent sur le pavé.
Afra balbutia une excuse et poursuivit son chemin, mais la marchande cria à tue-tête :
— Voyez-vous ça, mais c’est bien elle, cette Afra, celle qui a ensorcelé notre architecte !
— … qui a ensorcelé notre architecte ?
Des curieux accoururent de toutes parts.
— La putain de l’architecte !
— La pauvre femme ! Elle n’est pas encore roide que la dulcinée a déjà pris sa place.
— Et c’est à cause de cette créature qu’il a assassiné son épouse ?
— Qu’a-t-elle donc de si particulier ?
— Qu’elle aille moisir au cachot, à sa place !
— Je les ai vus. Ils sont venus l’arrêter aujourd’hui.
— Et la sorcière se promène encore en liberté ?
Quelqu’un lança vers Afra une pomme qui l’atteignit au front. Le projectile lui causa une douleur bien moins vive que celle qu’elle ressentait en entendant ces réflexions. Ulrich arrêté ? Afra plaqua ses mains sur ses oreilles afin de ne plus entendre leurs vociférations. Un deuxième projectile, une pierre, cette fois, pointue, frappa le revers de sa main. Afra sentit son sang couler le long de sa manche.
Elle partit en courant. Alors qu’elle s’engouffrait dans la Hirschgasse, les gens lui lançaient dans le dos des cailloux qu’elle entendait fuser mais qui, par chance, manquèrent tous leur cible.
Quand elle se sentit hors d’atteinte, elle reprit son souffle et, le cœur battant à tout rompre, épia les alentours.
Dans le lointain résonnaient encore les clameurs de la foule furieuse :
— Qu’on les pende, tous les deux !
La nuit lui parut interminable. Elle était désespérée au point de se moquer de ce qui lui arriverait désormais. Elle repensa à son père et, subitement, elle éprouva un sentiment de rancœur à son égard. Il lui avait donné de faux espoirs avec ses paroles énigmatiques et l’avait, en fin de compte, abandonnée à son triste sort. Minuit avait depuis longtemps sonné quand elle entendit qu’on frappait timidement à la porte et qu’on parlait tout bas. Ce sont les sergents, songea-t-elle dans un demi-sommeil, ils viennent me chercher.
Le plancher craqua. Il y eut des bruits de pas. Soudain, Afra s’éveilla en sursaut. À la faveur du rai de lumière lugubre venant de la fenêtre, elle vit la porte s’entrouvrir. Puis elle aperçut la flamme vacillante d’une chandelle.
— Afra, réveille-toi !
C’était la voix du pêcheur entrant dans sa chambre en compagnie de deux solides gaillards.
— Oui ? fit Afra hébétée en s’asseyant.
Elle ne parut pas le moindrement inquiète. Lorsqu’un des deux hommes vêtus de noir s’approcha d’elle, elle ne montra aucune crainte.
— Femme, habille-toi, dit-il d’une voix étouffée. Dépêche-toi, rassemble tes affaires, prends ton balluchon. Et n’oublie pas le parchemin !
Afra resta interdite. Elle dévisagea l’homme qui venait de lui parler. Comment connaissait-il l’existence du parchemin ? Elle ne l’avait jamais vu. Pas plus que son acolyte du reste.
Mais dans
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