Les Conjurés De Pierre
face d’Ulrich. Un mince rai de lumière matinale tombait sur le parchemin. Sans se laisser distraire par les gargouillis de l’alambic, ils gardaient les yeux rivés sur le papier humidifié qui prit, en quelques secondes, une teinte plus sombre sans pour autant dévoiler la moindre trace d’écriture.
Afra lança des regards inquiets à Ulrich. Pourquoi son père avait-il inventé cette histoire absurde ?
De longues minutes s’écoulèrent. Rubaldus ne cessait d’imprégner le parchemin avec la solution sans jamais se départir de son sang-froid. Pourquoi en aurait-il été autrement ? L’enjeu était simple pour lui, il ne s’agissait guère plus que de gagner un florin. L’alchimiste, remarquant l’impatience d’Afra, chercha à la calmer ou à la réconforter :
— v ous savez, plus l’écriture est ancienne, plus elle met de temps à se révéler.
— Vous êtes sûr…
— Certain. La patience est la qualité première d’un alchimiste. L’alchimie n’est pas une science qui compte en secondes ou en minutes. Pour nous autres, une journée ne représente qu’une courte durée. Nous avons l’habitude de raisonner en termes d’années, de siècles voire de millénaires.
— Nous ne pourrons, hélas, attendre aussi longtemps ! répliqua Ulrich, qui perdait lui aussi patience. Cela valait néanmoins la peine d’essayer.
Il allait reprendre son florin lorsque l’alchimiste plaqua sa main sur ses doigts et lui lança un regard exaspéré en lui désignant d’un mouvement de la tête le parchemin.
À cet instant précis, Afra crut assister à un miracle : des bribes d’écriture encore assez floues apparurent d’abord par endroits, puis, comme par magie, elles gagnèrent en netteté. Le diable était à l’œuvre.
Les trois se penchèrent sur le parchemin, leurs têtes se frôlèrent presque tandis qu’ils observaient le miracle de l’écriture en train de s’accomplir.
Des syllabes se dessinèrent les unes après les autres, en désordre, sans former véritablement des mots comme lorsqu’on apprend à lire. Il apparaissait clairement que le document avait été rédigé à la plume.
— Tu comprends quelque chose ? demanda Afra, perplexe.
Ulrich, rompu à la lecture de plans et d’écrits anciens, fit une moue grimaçante sans répondre. Il inclinait la tête tantôt à gauche tantôt à droite.
L’alchimiste souriait avec un air entendu. Il enleva les épingles du parchemin et le retourna, ce qui contraria fortement ses clients.
— L’humidité rend le parchemin transparent, nota-t-il satisfait, mais il est impossible de lire l’écriture à l’envers !
Maître Ulrich était vexé ne pas l’avoir lui-même remarqué plus tôt. Ce n’est qu’à cet instant seulement qu’Afra comprit que le parchemin n’était pas dans posé dans le bon sens.
Une fois retourné, ils purent distinguer des mots, des phrases entières qui, même s’ils ne les comprenaient pas, formaient un tout cohérent.
Les caractères décrivaient d’élégantes arabesques presque picturales.
— Mon Dieu ! s’exclama Afra, bouleversée.
Ulrich se tourna vers Rubaldus :
— Votre latin est certainement meilleur que le mien. Lisez-nous ce que ce mystérieux auteur a écrit.
L’alchimiste, lui même impressionné par son travail, s’éclaircit la voix avant de commencer à lire d’une voix grave et éraillée : « Nos Joannes Andreas Xenophilos, minor scriba inter benedictinos monasterii Cassinensi, scribamus hanc espistulam propria manu, anno a natavitate Domini octogentesimo septuagesimo, pontificatus sanctissimo in Christo patris hadriani secundi, tertio ejus anno, magna in cura et paenitentia. Moleste ferro… »
— Qu’est-ce que cela signifie ? l’interrompit Afra, vous pouvez certainement nous traduire ce texte.
Rubaldus suivait du doigt les lignes écrites sur le parchemin.
— Il faut faire vite, dit-il en faisant preuve lui-même pour la première fois d’impatience.
— Pourquoi vite ? demanda Ulrich.
Après avoir vérifié que le bout de ses doigts ne portait pas de traces de la solution, l’alchimiste répondit :
— Le parchemin est en train de sécher. Dès qu’il sera complètement sec, l’écriture disparaîtra. Je ne sais combien de fois on peut renouveler le processus sans que l’écriture ne s’altère.
— Alors traduisez-nous ce que vous venez de lire ! s’écria Afra, en trépignant nerveusement.
Rubaldus pointa
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