Les Conjurés De Pierre
même, répliqua Ulrich en riant. Puis il paya l’aubergiste et s’occupa des bagages.
— Une jolie petite bourgade, Heroldsbronn ! fit Afra lorsque le charretier dirigea l’attelage sous l’étroite porte de la ville. Les gamins, accrochés à la voiture pour glaner quelques pièces, sautèrent à terre. Lorsque la voiture eut passé le pont, le charretier fit claquer son fouet et les chevaux partirent en trottinant.
Afra, enveloppée dans une couverture, était assise derrière le valet qui la protégeait de la bise glaciale. Les frimas de saison n’étaient effectivement pas propices aux voyages. Ulrich serrait sa main.
— Jusqu’où veux-tu aller aujourd’hui ? lança-t-il au charretier qui se retourna.
— Dieu seul le sait, ce sera bien si déjà nous passons les gorges de l’Eisbach, je ne peux en dire plus pour l’instant.
Le rideau de brouillard se déchira soudain, dégageant devant eux les premiers bosquets de petits sapins touffus qui s’ouvrirent à plus d’une demi-lieue de là sur un paysage de prairies. Sur la crête d’une colline offrant un vaste panorama sur l’ouest, le charretier pointa le bout de son fouet vers l’horizon :
— La Forêt Noire ! lança-t-il contre le vent, de telle sorte qu’on pouvait voir le souffle chaud de son haleine s’échapper de sa bouche.
La forêt s’étendait à perte de vue, une forêt immense et sombre couvrant toutes les collines jusqu’à l’horizon. On avait peine à imaginer qu’on pût franchir une telle barrière naturelle avec un attelage.
Ulrich donna une tape dans le dos du charretier :
— L’ami, j’espère que tu connais bien la route !
Il se retourna :
— Soyez tranquille. J’ai déjà traversé la forêt une bonne douzaine de fois. Pas à cette saison, certes, mais n’ayez aucune inquiétude !
Peu après, le paysage se fit plus sauvage, les voitures plus rares et le chemin moins carrossable. Ils commençaient à trouver qu’elle portait bien son nom. Les grands sapins serrés les uns contre les autres ne laissaient pas filtrer le moindre rai de lumière dans le sous-bois. Le charretier gardait les rênes tendues.
Il régnait dans la forêt un silence aussi profond que celui d’une cathédrale. Le bruit incongru de l’attelage rompait cet auguste silence. Çà et là, un oiseau effrayé par les cahots de la voiture s’envolait. Afra et Ulrich osaient à peine parler. Ils avaient l’impression qu’ils ne sortiraient jamais de ce labyrinthe.
Après avoir parcouru une vingtaine de lieues, le charretier leur tendit une bouteille d’eau-de-vie pour tromper leur morosité. Afra en but une grosse gorgée qui lui mit le feu à la gorge mais la réchauffa.
Soudain, il poussa un retentissant « Holà ! » en immobilisant les chevaux in extremis devant un tronc de sapin couché en travers du chemin.
Ils crurent d’abord que le vent avait déraciné l’arbre, mais lorsque le charretier examina la situation de plus près, son visage se rembrunit.
— C’est louche ! fit-il à voix basse. L’arbre vient d’être abattu.
Les yeux plissés et la bouche ouverte, il scrutait les bosquets de part et d’autre du chemin, en épiant d’éventuels bruits suspects. Hormis le souffle des bêtes et le cliquetis de la vaisselle, le silence était total.
Afra et Ulrich ne bronchaient pas.
Le valet prit lentement son arbalète sous la banquette, en évitant de faire le moindre bruit, puis il descendit.
— Qu’est-ce qui se passe ? murmura Afra angoissée.
— Il semble que nous soyons tombés dans une embuscade, marmonna Ulrich en scrutant le sous-bois.
D’un geste vif, le charretier fit signe à Ulrich de s’approcher de lui.
— Reste ici et ne bouge pas ! ordonna Ulrich à Afra avant de descendre.
Les trois hommes se concertèrent à voix basse sur la tactique à adopter. Les arbres et les buissons formaient une sorte de tunnel étroit interdisant tout demi-tour. Ils devaient agir vite et ne pas s’avouer d’emblée vaincus s’ils voulaient échapper au sort funeste qui les attendait. L’arbre était lourd, mais pas au point que trois solides gaillards ne puissent le soulever et l’écarter du chemin.
Ils devaient toutefois être sur leurs gardes, car les bandits pouvaient surgir à chaque instant. Les trois hommes se placèrent l’un à côté de l’autre, glissèrent leurs bras sous le tronc, puis, comme un seul homme, déplacèrent l’arbre mètre pas mètre.
Après
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