Les Conjurés De Pierre
descendit.
— Ulrich, c’est toi ? lança-t-elle dans l’obscurité.
Mais elle n’obtint pas de réponse. Tout à coup, elle fut envahie par une peur inexpliquée. Elle se précipita spontanément dans la cuisine à l’arrière de la maison où elle prit une torche dans le feu pour allumer une chandelle.
Et maintenant, le bruit se répétait, une sorte de grincement de porte. Armée de sa chandelle qu’elle élevait devant elle, Afra se glissa sur la pointe des pieds jusqu’à la porte qu’elle trouva fermée à clef. Si les vitres en culs-de-bouteille avaient le mérite d’empêcher les passants de voir à l’intérieur, elles empêchaient aussi Afra de voir à l’extérieur. Elle monta donc au premier, entrouvrit légèrement une fenêtre donnant sur la Bruderhofgasse et jeta un œil en bas. Dans un recoin du mur de la maison d’en face, elle crut apercevoir une silhouette sombre. Peut-être se faisait-elle seulement des idées ?
Elle crut d’ailleurs rêver quand elle sentit deux mains dans sa nuque qui se refermèrent sur sa gorge comme des tenailles. Elle allait étouffer quand elle sentit un léger souffle d’air sur son visage avant de voir un voile tomber devant ses yeux.
Je ne rêve pas, se dit-elle. Puis tout devint noir autour d’elle, tout noir, agréablement noir.
Elle entendit tout à coup la voix d’Ulrich dans le lointain, d’abord quelques bribes vagues qui se firent plus distinctes et plus insistantes. Elle sentit qu’on la secouait, qu’on la giflait violemment. C’est à grand-peine qu’elle parvint enfin à ouvrir les yeux.
— Que s’est-il passé ? demanda Afra allongée par terre, puis elle reconnut le visage d’Ulrich penché sur elle.
— Ne t’inquiète pas, tout va bien, lui répondit Ulrich. Elle remarqua qu’il faisait exprès de lui barrer la vue avec son corps.
— Que s’est-il passé ? répéta-t-elle.
— Je croyais que toi, tu pourrais me fournir une explication !
— Moi, mais je ne me souviens de rien si ce n’est de ces deux mains qui me tenaillaient la gorge et d’un voile de tissu.
— D’un voile ?
— Oui, d’un voile de tissu dégageant une odeur particulière. Puis, tout s’est obscurci.
— Était-ce cela ? demanda Ulrich en lui tendant un morceau de tissu vert vif orné d’une croix dorée ?
— Possible, effectivement. Je n’en sais rien. Elle se redressa. Mon Dieu, balbutia-t-elle, j’ai cru mourir.
La pièce était dans un désordre invraisemblable, les chaises étaient renversées et les coffres ouverts. Afra mit un certain temps à mesurer l’ampleur des dégâts.
— Le parchemin ? lui demanda Ulrich en laissant son regard peser sur elle.
« Le parchemin ! » Le mot fusa dans son esprit. Quelqu’un recherchait le document. Le passé l’avait rattrapé.
Elle se leva péniblement et tituba vers le coffre à vêtements. Ses habits gisaient, épars, sur le sol. Sa robe verte était encore suspendue à sa place.
Elle tendit le bras pour en palper l’étoffe, se figea, puis se retourna. Son visage, l’instant d’avant encore profondément grave, rayonnait maintenant de joie. Elle sourit et finit par éclater de rire.
Puis, ne trouvant plus ses mots, elle se mit à danser comme une folle dans la pièce sens dessus dessous.
Ulrich l’observait avec un regard inquiet, quand il comprit subitement que les voleurs n’avaient pas trouvé le parchemin qu’Afra avait dissimulé à l’intérieur de sa robe. Lorsqu’elle se fut enfin calmée, Ulrich lui dit :
— Je crois que nous prenons de gros risques en conservant le parchemin avec nous. Nous devrions lui trouver une meilleure cachette.
Afra releva les chaises tombées et fit un peu de rangement. Elle n’arrêtait pas de secouer la tête.
— à première vue, il ne manque rien, vraiment rien. Les voleurs n’ont même pas pris les timbales en argent. Ils ne s’intéressaient qu’au parchemin. Reste à savoir maintenant qui a connaissance de l’existence de ce document.
— C’est toi qui me poses la question ? Mais la réponse tombe sous le sens : l’alchimiste bien sûr.
— Mais il ne pouvait pas savoir que nous nous étions réfugiés à Strasbourg… Elle s’arrêta subitement pour réfléchir.
— À quoi penses-tu ?
— Il faut que je te dise quelque chose. Je suis retournée voir Rubaldus. Je voulais lui demander de plus amples informations sur le parchemin. J’étais prête à lui donner dix
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