Les conquérants de l'île verte
procédait Mider. Il remarqua une foule de gens qui
travaillaient durement à construire la chaussée, d’autres qui ramassaient
toutes les pierres, d’autres enfin qui plantaient des arbres. Là-dessus, il
rentra à Tara et rendit compte à Éochaid des grands efforts faits durant la
nuit pour que l’enjeu fût réalisé. Et il ajouta qu’il n’avait jamais vu au
monde de pouvoir magique aussi puissant que celui dont il avait été le témoin.
Ils en étaient là de leur conversation quand ils virent
arriver le grand guerrier aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Il avait une
ceinture autour de la taille et paraissait fort en colère. Éochaid en fut
quelque peu effrayé, mais il lui souhaita la bienvenue. « Je me moque de
tes souhaits, répondit méchamment Mider. Les tâches et les exigences que tu me
demandes sont trop dures et trop pénibles. J’étais vraiment disposé à accomplir
des exploits pour te plaire, mais tu abuses de la situation. – Allons,
calme-toi, dit le roi. Je tenterai de me montrer plus conciliant la prochaine
fois. – Jouons-nous encore ? demanda Mider. – Volontiers, répondit Éochaid.
Mais quel sera l’enjeu ? – Celui que décidera le vainqueur, dit Mider. –
J’accepte reprit le roi. Cela prouve ma bonne volonté vis-à-vis de toi, car
ainsi rien n’est fixé d’avance [122] . »
Ils jouèrent donc mais, cette fois, Mider gagna la partie. Éochaid
se trouva tout penaud. « Quel est ton enjeu ? demanda-t-il. – Ce
n’est pas difficile, répondit Mider ; c’est ta femme, Étaine, fille d’Étar
d’Ulster, qui a été ma femme bien avant de devenir la tienne. » Atterré, Éochaid
Airem finit par dire : « Accorde-moi un délai. – Je te l’accorde. –
Dans ce cas, viens dans un mois, et je satisferai à mes engagements. »
Mider s’en alla, laissant Éochaid à sa grande angoisse. Le
roi se doutait bien que Mider l’avait délibérément entraîné dans cette
situation catastrophique et qu’il lui serait désormais difficile d’en sortir.
Cependant, il n’avait nulle intention de perdre Étaine et de la donner à Mider.
Aussi, après de longues réflexions, résolut-il de ne pas tenir ses engagements [123] .
C’est pourquoi, au jour fixé, Éochaid Airem réunit autour de
lui, à Tara, l’élite de ses hommes et des guerriers d’Irlande. Il fit en sorte
que la forteresse fût cernée de troupes, et que la maison où il se tenait avec Étaine
fût remplie d’hommes armés bien décidés à résister à quiconque s’aviserait
d’enlever la reine. Les portes de la forteresse avaient été verrouillées,
celles de la maison également. Car Éochaid savait que l’homme aux grands
pouvoirs magiques serait exact au rendez-vous. Étaine était parmi l’assemblée,
ce soir-là, et elle servait les chefs et les seigneurs qui entouraient le roi.
Cela n’empêcha nullement Mider d’arriver, sans qu’on sût
comment, au milieu de la maison. Il était toujours aussi beau, mais d’une
beauté qui leur parut à tous, ce soir-là, plus étonnante encore que d’habitude,
avec ses cheveux blonds, ses yeux bleus et son manteau agrafé d’une broche d’or
sertie de pierres précieuses. Étaine sentit son cœur fondre, en le voyant
ainsi, seul au milieu d’une assemblée qui lui était hostile, mais elle ne dit
rien, se contentant de remplir les coupes de bière et d’hydromel. Tous étaient
néanmoins abasourdis qu’il se trouvât là, au milieu de la salle, alors que tous
les accès en étaient fermés. Mais Éochaid s’avança vers lui et lui souhaita la
bienvenue.
« Je suis ici, dit Mider, pour réclamer l’enjeu dont
nous étions convenus et que tu me dois sous peine d’être déshonoré à jamais. –
Un roi d’Irlande ne peut livrer sa femme à un autre, répondit Éochaid. Je peux
te donner toutes les compensations que tu désireras, mais il est impossible qu’Étaine
s’en aille avec toi ce soir. – Tu me l’avais pourtant promis, dit Mider. Tu
dois t’acquitter de ta dette devant tous les hommes d’Irlande. – Je ne te céderai
pas Étaine, fit Éochaid d’un ton farouche. – Tu ne m’impressionnes pas, lui
répondit Mider. Nul ne peut se soustraire à ses obligations et, moins que
quiconque, le roi. Ne me suis-je pas moi-même acquitté des enjeux que je te
devais, quelques peines qu’il ait pu m’en coûter ? – C’est vrai »,
finit par admettre Éochaid.
Alors Mider se tourna vers Étaine. « Femme, lui
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