Les conquérants de l'île verte
de la forteresse quand il aperçut un guerrier étrange qui
s’en approchait. Ce guerrier était revêtu d’une tunique pourpre, et sa
chevelure blonde ondoyait jusqu’à ses épaules. Il avait l’œil brillant et bleu,
et sa main tenait une lance à cinq pointes ; un bouclier d’argent bordé
d’or et de pierres précieuses était suspendu à son cou. Éochaid ne le reconnut
pas, mais il savait que cet homme ne se trouvait pas, le soir précédent, dans
la salle des festins de Tara. « Bienvenue au guerrier que je ne connais
pas, dit Éochaid. – Moi, je te connais, répondit l’autre. Tu es Éochaid Airem,
roi suprême de toute l’Irlande. – C’est exact, mais quel est ton nom ? –
Il n’est guère célèbre, chez les Fils de Milé. Sache que l’on m’appelle Mider
de Bri Leith. – Et que désires-tu ? – Je voudrais jouer aux échecs avec
toi, répondit le guerrier. – En vérité, repartit Éochaid, je suis très bon aux
échecs, et je ne refuse jamais une partie qu’on me propose. Mais la reine dort
encore, et c’est chez elle que se trouve mon échiquier avec toutes ses pièces.
– Peu importe, répliqua le guerrier, j’ai ici un jeu d’échecs qui n’est pas de
moindre valeur. »
Il disait vrai. Car il exhiba un échiquier d’argent dont
chaque angle était illuminé par une pierre précieuse. Puis, d’un sac en mailles
de bronze, il retira les pièces, qui étaient d’or. Enfin, il disposa le jeu sur
le sol de la terrasse. « Nous pouvons jouer à présent, dit-il. – Je ne
jouerai pas sans enjeu, répondit Éochaid. – Quel sera-t-il ? demanda
Mider. – Cela m’est égal. – Fort bien. Si tu gagnes, reprit Mider, tu auras de
moi cinquante coursiers gris aux têtes tachetées et rouges, aux oreilles
pointues, au poitrail large, aux naseaux très ouverts, aux pattes fines, et
très puissants, ardents, rapides, faciles à atteler, ainsi que cinquante rênes
émaillées. Ils seront ici demain, à la troisième heure, si je perds cette
partie. »
Ils jouèrent donc. Éochaid gagna la partie, et Mider se
retira, emportant le jeu d’échecs. Le lendemain, quand Éochaid sortit sur les
remparts de Tara, il vit Mider arriver sur la terrasse. Il ne savait d’où il
venait ni comment il était arrivé jusque-là. Mais ce qui lui fit plaisir, c’est
que Mider poussait devant lui une troupe de cinquante chevaux gris aux rênes
émaillées. « C’est bien, dit-il. Tu tiens ta parole. – Ce qui est promis
est dû, dit Mider. Jouerons-nous encore aujourd’hui ? – Je le veux bien,
répondit le roi, à condition qu’il y ait un enjeu. – C’est tout à fait normal.
Si tu gagnes cette partie, tu auras de moi cinquante vaches blanches à oreilles
rouges, cinquante portes au ventre gris, cinquante épées à garde d’ivoire et
cinquante manteaux bariolés. Cela te convient-il ? – Parfaitement »,
répondit Éochaid.
Ils jouèrent, et Éochaid gagna la partie. Le lendemain,
Mider revint avec tout ce qu’il avait promis. Et il en fut ainsi pendant plusieurs
jours : Mider perdait régulièrement, et Éochaid entassait ses richesses
dans la forteresse de Tara.
Cependant, l’intendant du roi s’étonnait que tant de trésors
eussent été accumulés en si peu de temps. Il interrogea Éochaid là-dessus, et
celui-ci lui conta comment il les avait obtenus. « Voilà qui est étrange,
dit l’intendant. Si tu m’en crois, méfie-toi de cet homme. Il me paraît avoir
de grands pouvoirs magiques. Aussi, la prochaine fois, ne le laisse pas
proposer l’enjeu. Impose-lui toi-même de lourdes charges, et nous verrons
comment il tient ses engagements. »
Aussi, quand Mider reparut sur la terrasse de Tara pour
proposer une nouvelle partie d’échecs à Éochaid, celui-ci lui imposa son propre
enjeu, à savoir enlever toutes les pierres de Meath, construire une chaussée
sur les marécages de Lamraige et planter une forêt dans la vallée de Breifné.
« C’est beaucoup, dit Mider. Néanmoins, j’accepte tes conditions. »
Ils jouèrent, et Éochaid gagna la partie. « Tu auras demain ce que tu as
demandé, lui dit Mider, mais fais en sorte que ni homme ni femme ne sorte de la
forteresse avant le lever du soleil. – Je te le promets, dit Éochaid, personne
ne sortira de Tara avant le lever du soleil. »
Mais, loin de tenir sa promesse, le roi envoya son intendant
observer ce qui se passerait. L’homme sortit donc en secret de la forteresse et
alla voir comment
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