Les conquérants de l'île verte
sans conteste le plus beau de
toute l’Irlande [87] .
Et le festin dura trois jours et trois nuits.
Or, Elcmar avait une femme qui se nommait Boann, et elle
était si belle qu’en la voyant Dagda fut tenaillé du violent désir de la
connaître charnellement. Il guetta le moment propice pour la rencontrer sans
témoin et, quand l’occasion se présenta, lui en fit l’aveu sans aucune honte ni
réserve. « J’irais volontiers m’unir à toi, répondit Boann, mais je
redoute la colère d’Elcmar, car il est habile magicien, et il se vengerait de
moi de la façon la plus cruelle et la plus douloureuse. – Certes, dit Dagda, il
est habile magicien, mais je le suis davantage, et je sais le moyen de le tenir
à l’écart de tout ce qui nous concerne. Fais-moi confiance, ô femme, et ne
crains rien. »
Le soir même, Dagda pria Elcmar d’aller porter un message de
sa part à Bress, fils d’Élatha, qui avait sa résidence dans la Plaine de l’Île.
Le lendemain matin, Elcmar quitta donc le palais de la Brug pour s’acquitter de
sa mission. Mais, dès qu’il fut un peu éloigné, Dagda mit de grands charmes sur
lui afin qu’il ne revînt pas d’un an. Il l’égara dans l’obscurité de la nuit et
lui épargna la faim et la soif, mettant également sur lui de longues errances,
mais de telle sorte qu’il ne sentit pas le temps passer et crut que son voyage
n’avait duré qu’un seul jour et une seule nuit.
Alors, Dagda alla trouver Boann, et tous deux eurent tout le
loisir de s’unir. Tant et si bien même que Boann conçut et qu’au bout de neuf
mois, elle donna naissance à un garçon, le plus beau et le plus agréable qui
fût. « Quel nom allons-nous lui donner ? demanda Dagda. – Qu’il soit
nommé Angus, c’est-à-dire Choix Unique, répondit Boann, car il est le fruit de
mon union avec toi, et celle-ci a été le choix unique de ma vie. »
Le fils de Boann et de Dagda fut donc nommé Angus mais, par
la suite, on l’appela surtout le Mac Oc, c’est-à-dire le « jeune
fils », car il était le dernier-né de Dagda et possédait toutes les
qualités de son père, ainsi que la beauté de sa mère. Quand Elcmar revint de
voyage, Boann était déjà parfaitement remise de ses couches, et, loin de
remarquer ce qui s’était passé, il demeura persuadé de n’avoir passé qu’un jour
et une nuit hors de sa résidence de Brug-na-Boyne.
Avant le retour d’Elcmar, Dagda avait d’ailleurs emmené son
fils pour le faire élever dans la demeure de Mider, dans le tertre de Bri
Leith. Il l’avait confié à Mider parce qu’il avait toute confiance en lui, et
savait qu’il élèverait le garçon dans les meilleures conditions possibles parmi
les enfants les plus nobles de toute l’Irlande. Angus fut donc nourri et élevé
à Bri Leith pendant de longues années. Mider avait une grande plaine de jeux
devant la demeure de Bri Leith, et il hébergeait chez lui cent cinquante jeunes
gens et cent cinquante jeunes filles que lui avaient confiés les chefs des
tribus de Dana et ceux des Fir Bolg qui résidaient encore en Irlande. Angus
était leur champion à tous, car il était plus vigoureux et plus habile que les
autres, et Mider éprouvait pour lui autant d’affection que s’il avait été son
propre fils.
Or, un jour, Angus se prit de querelle avec Triath, fils de
Fébal, du clan des Fir Bolg et l’un des chefs de jeux de ceux que l’on élevait
dans le tertre de Bri Leith. Triath était également l’un des fils adoptifs de
Mider, lequel avait beaucoup de considération pour lui. Triath venait de
reprocher à Angus d’avoir mal jugé le vainqueur d’une course, et le jeune homme
se mit en colère : « Il me faudrait supporter, s’écria-t-il, les
leçons d’un fils de serf ! »
En effet, il prenait encore Mider pour son père et croyait
que la souveraineté sur Bri Leith était son héritage. Il ignorait tout de sa
parenté avec Dagda. Mais, en s’entendant injurier, Triath s’emporta :
« Il me faudrait supporter, moi, rétorqua-t-il, que me parle sur ce ton un
mercenaire dont nul ne connaît le père ni la mère ! »
À ces mots, Angus demeura triste et désemparé. Mais, sans
plus tarder, il s’en alla trouver Mider, car il voulait savoir la vérité au
sujet de ce qu’avait dit Triath.
« Que t’arrive-t-il donc ? lui demanda Mider, en
le voyant arriver avec un air sombre et les yeux pleins de larmes. – Triath, le
fils de Fébal, m’a profondément
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