Les conquérants de l'île verte
humilié, répondit Angus. Il m’a injurié et jeté
à la face que je n’avais ni père ni mère. – C’est faux, dit Mider. Il est vrai
que je ne suis pas ton père, bien que je t’aie élevé avec la tendresse d’un
père. Mais je puis t’affirmer que tu as un père et une mère. – Alors, reprit
Angus, je te prie de me dire qui est ma mère et où je pourrais trouver mon
père. – Ce n’est pas difficile : ta mère est Boann, la femme d’Elcmar de
Brug-na-Boyne, mais ton père n’est pas Elcmar. C’est Éochaid Ollathair, mieux connu
sous le nom de Dagda. C’est lui qui m’a chargé de t’élever, à l’insu d’Elcmar,
afin qu’il ne soit pas offensé parce que tu es né malgré lui. Voilà la vérité,
mon garçon, et je ne veux pas que tu m’en veuilles de ne pas t’avoir révélé
plus tôt tes origines : il fallait avant tout protéger ta mère, car si
Elcmar avait appris ce qui s’était passé, il se serait vengé sur elle. – Fort
bien, dit Angus. Je te rends grâce de m’avoir révélé que je n’étais pas un
enfant sans père ni mère. Maintenant, je vais te demander de m’emmener chez mon
père, afin qu’il me reconnaisse et qu’ainsi je ne sois plus exposé aux insultes
des Fir Bolg. »
Mider partit donc avec son fils adoptif s’entretenir avec
Dagda. Ils arrivèrent à Uisnech de Meath, dans le centre de l’Irlande, où
résidait Dagda à l’époque. Ils le trouvèrent au milieu d’une assemblée des
chefs et des nobles des tribus de Dana. Mider l’appela et le pria de se retirer
à l’écart pour converser avec le jeune homme qui l’accompagnait. Quittant
l’assemblée, Dagda les rejoignit aussitôt. « Hé bien, demanda-t-il, que
désire ce jeune guerrier qui n’est encore jamais venu ici ? – Il désire
être reconnu par son père, répondit Mider, et qu’on lui donne également de la
terre, car il n’est pas convenable que ton fils n’ait rien alors que tu
possèdes de grands domaines dans toute l’Irlande. – C’est juste, dit Dagda.
Bienvenue à lui puisqu’il est mon fils. Mais sa demande me pose un problème,
car il n’est aucune terre qui soit libre dans mes domaines. – Tu ne peux
pourtant refuser une terre à ton fils, reprit Mider. – Je le sais, dit Dagda.
Qu’il m’accorde seulement un délai pour trouver une solution, et je lui
donnerai satisfaction. » [88]
Dagda alla prendre conseil de Mananann, fils de Lîr, et,
après lui avoir exposé le cas, tous deux réfléchirent sur la manière de
procéder.
« Je lui donnerais volontiers le domaine de Brug-na-Boyne,
expliquait Dagda, mais comment l’obtenir d’Elcmar ? Il ne voudra jamais
s’en dessaisir… – Ce n’est pas si sûr, répondit Mananann. Si tu veux m’en
croire, voici ce que nous allons faire : Elcmar a invité les chefs et les
nobles des tribus de Dana à célébrer la Fête du Temps dans sa demeure de
Brug-na-Boyne, pour la veille de Samain prochain.
Arrange-toi pour que ton fils t’y accompagne, et, moi, je m’arrangerai pour lui
faire attribuer la possession de la Brug, avec l’assentiment même d’Elcmar, et
sans que personne y trouve à redire quoi que ce soit. »
Aussi Mananann, Dagda et Angus partirent-ils de conserve
pour les bords de la Boyne dont l’herbe verte était couverte de rosée. Ils y
furent tous trois reçus avec honneur, et on recouvrit la salle du festin de
paille et de roseaux frais pour qu’ils y fussent à leur aise. La salle était
belle et somptueuse : le sol en était de bronze, d’une porte à l’autre ;
des plaques de bronze blanc en ornaient les murs, et de beaux lits d’argent,
décorés d’animaux de toutes sortes finement ciselés, y étaient dressés. Elcmar
avait ordonné à ses serviteurs d’aller dans les lieux les plus sauvages de
l’Irlande chercher des oiseaux, du poisson et du gibier en l’honneur de ses
visiteurs. Les chefs des tribus de Dana s’assirent pour le festin, Bobdh Derg
au milieu, avec Mananann à sa droite et Dagda à sa gauche. Plus loin, se
trouvaient Mider et Angus, avec Elcmar et Goibniu.
Comme on les régalait de la fleur de chaque boisson et de
chaque mets, les convives étaient heureux et de bonne humeur. Des musiciens
vinrent leur jouer des airs de l’ancien temps, et l’on récita des poèmes où il
était question des grandes prouesses qu’avaient accomplies les tribus de Dana
lors de leurs affrontements contre les Fir Bolg et les Fomoré. Après quoi, tous
allèrent se
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