Les conquérants de l'île verte
cours duquel il lui fut révélé que les chanteurs étaient les enfants
de Lîr. Le lendemain matin, il alla jusqu’au Lac des Oiseaux et aperçut les
quatre cygnes sur la surface des eaux. Il descendit vers eux jusqu’au rivage.
« Êtes-vous les enfants de Lîr ? demanda-t-il. – Nous le sommes,
répondirent-ils. – J’en remercie Dieu, dit Mohévog, car c’est pour l’amour de
vous que je suis venu dans cette île, de préférence à toutes les autres.
Maintenant, enfants de Lîr, venez à terre et fiez-vous à moi. Vos souffrances
sont terminées, et je veillerai sur vous. »
Ils abordèrent, et Mohévog les emmena dans son ermitage.
Chaque fois que Mohévog célébrait la messe, ils assistaient à l’office. Et,
tous les quatre, ils se sentaient enfin en sûreté et à l’abri du froid et de la
tempête. Mohévog fit fabriquer par un habile forgeron des chaînes d’argent
brillant. Il mit l’une des chaînes entre Aedh et Finula, l’autre entre Conn et
Fiachra. Et tous quatre lui chantaient d’admirables chants qui lui
réjouissaient le cœur.
En ce temps-là, le roi de Connaught était Lergnenn, fils de
Colmann, et Déoch, fille de Finghinn, était sa reine. Ils étaient l’Homme du
Nord et la Femme du Sud dont Aifé avait parlé lorsqu’elle avait lancé son
sortilège contre les enfants de Lîr. Elle avait prédit qu’ils se
rencontreraient. Or, la femme entendit parler des cygnes, et un grand désir lui
vint de les posséder. Elle pria Lergnenn de les lui amener, et le roi lui
répondit qu’il prierait Mohévog de lui confier les oiseaux. Il envoya donc des
messagers vers Mohévog, mais ceux-ci revinrent en disant que le saint ermite
refusait de s’en séparer.
Alors, la reine Déoch entra dans une violente colère et jura
qu’elle ne resterait pas avec le roi une nuit de plus s’il ne lui amenait
sur-le-champ les oiseaux qui faisaient l’objet de son grand désir. Lergnenn se
rendit donc en personne auprès de Mohévog et lui demanda s’il avait vraiment
refusé de donner les cygnes.
« C’est l’exacte vérité », répondit Mohévog.
Le roi Lergnenn se mit en colère. Il entra dans la chapelle
où se trouvaient les cygnes et les saisit, les arrachant à l’autel, deux dans
chaque poing, afin de les ramener à la reine. Mais il n’eut pas plus tôt porté
la main sur eux que leur plumage tomba : et, à la place des cygnes, on vit
trois maigres vieillards flétris et une vieille femme toute menue, qui n’avaient
plus ni chair ni sang. Et Lergnenn fut tellement effrayé par ce spectacle qu’il
prit la fuite. Alors, Finula dit à Mohévog : « Saint homme, il est
temps que tu nous baptises, car nous ne sommes plus pour longtemps dans ce
monde. Quand nous serons morts, creuse notre tombe et place Conn contre mon
flanc droit et Fiachra contre mon flanc gauche. Quant à Aedh, tu le mettras
face à mon visage, entre mes deux bras. Hâte-toi, car notre temps touche à sa
fin. »
Mohévog baptisa sans tarder les quatre enfants de Lîr, et
ils moururent aussitôt. Alors, Mohévog les ensevelit comme le lui avait demandé
Finula. Il dressa sur leur tombe un pilier de pierre et y grava leurs noms en ogham . Puis, il récita des prières afin que les malheureux
enfants de Lîr eussent enfin la paix éternelle. [86]
CHAPITRE VIII
Les tribulations du jeune Angus
Au temps où Bobdh Derg régnait sur les tribus de Dana, les
principaux chefs du peuple féerique se rendaient fréquemment visite, notamment
pour célébrer la Fête du Temps. Parmi ces chefs, il en était un de plus célèbre
que les autres, Éochaid Ollathair, père du roi, que l’on connaissait surtout
sous le nom de Dagda. Il était respecté par tous, parce qu’il accomplissait des
merveilles et pouvait déclencher des tempêtes ou les apaiser. Mais il protégeait
également les récoltes, et faisait en sorte que les troupeaux eussent toujours
de gras pâturages, c’est de là que lui venait son nom de Dagda, c’est-à-dire
« dieu bon ». Et les gens des tribus de Dana, lorsqu’ils avaient
besoin d’un conseil, ne manquaient pas de venir le consulter sur les événements
à venir, car il était aussi bon devin que grand magicien.
Un jour, Elcmar donna un grand festin dans sa résidence de
Brug-na-Boyne, et Dagda ne manqua pas d’y venir, car Elcmar était son frère, et
il se serait couvert de honte auprès des tribus de Dana s’il n’avait ainsi
rendu hommage à celui-ci, dont le palais était
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