Les conquérants de l'île verte
Elcmar,
qu’il en soit ainsi. »
Il partit donc pour la colline de Cletech et s’y bâtit une
forteresse. Quant à Angus, le Mac Oc, il demeura dans la résidence de Brug-na-Boyne. [90]
Angus organisa sa nouvelle demeure comme il l’entendait.
L’intendant d’Elcmar n’avait pas suivi celui-ci, et il était venu se présenter
à son nouveau maître, en compagnie de sa femme et de son fils. Angus lui dit
qu’il le maintenait dans toutes ses fonctions et le prenait sous sa protection.
Et, dès lors, l’intendant lui fut tout dévoué, veillant à ce que tout fût pour
le mieux dans le palais de la Brug.
Or, une nuit qu’Angus dormait paisiblement, il eut soudain
une vision surprenante. En songe, il aperçut une jeune fille qui venait vers
lui et se plaça à son chevet. C’était assurément la plus belle fille qu’il y
eut jamais en Irlande. Angus voulut lui saisir les bras pour l’attirer dans son
lit, mais elle, d’un bond, s’écarta puis s’éloigna jusqu’à se fondre dans
l’obscurité.
Angus se leva et interrogea ses serviteurs, mais aucun d’eux
n’avait vu la belle, et personne ne put lui dire où elle était allée. Il se
recoucha mais chercha vainement le sommeil, tant le hantait la gracieuse image
de la jeune fille, et il demeura ainsi jusqu’au matin, qui le trouva tout
languissant et mélancolique. La forme qu’il avait entrevue durant la nuit, sans
pouvoir la saisir ni même lui parler, le rendait malade. Désormais, il n’eut
plus de goût pour la nourriture. La nuit suivante, cependant, l’épuisement le
fit sombrer dans un profond sommeil, et il la revit, mais, cette fois, elle
tenait une cymbale dans sa main, qui était la plus belle qu’il eût jamais vue.
Elle lui joua de la musique puis disparut comme elle était venue. Angus demeura
éveillé le restant de la nuit et, le lendemain, ne prit aucun repas. Et il en
fut de même chaque nuit : la fille approchait de son lit dès qu’il
s’endormait, mais elle le fuyait ou bien lui jouait une musique qui l’endormait
sitôt qu’il s’était réveillé.
Cela dura pendant une année entière, et Angus semblait
atteint d’une maladie de langueur. Mais, comme il ne confiait à personne les
origines de son mal, tout son entourage s’inquiétait. On fit venir de nombreux
médecins d’Irlande, mais aucun d’eux ne put dire de quoi il souffrait ni quels
remèdes conviendraient pour le guérir. Alors, on alla trouver Fingen, le plus
grand médecin d’Ulster. Il reconnaissait au seul visage de quelqu’un de quelle
maladie il était affligé, et il lui suffisait de regarder la fumée s’échapper
du toit pour savoir combien de malades il y avait dans une maison. Il se rendit
donc à la demeure de la Brug.
Or, après avoir soigneusement examiné le Mac Oc, il fut
néanmoins incapable de dire de quoi souffrait celui-ci. Alors, Angus demanda
qu’on le laissât seul avec Fingen, et il lui conta tout ce qui s’était passé,
insistant sur la beauté de la fille qui venait le visiter chaque nuit.
« Tes aventures sont loin d’être heureuses, dit Fingen,
car tu aimes d’amour une femme qui est toujours absente. – C’est bien là mon
mal, dit Angus. – Tu es tombé dans un état lamentable, reprit Fingen, et cela
pour n’avoir pas osé confier ton secret. – Je ne pouvais le faire, car personne
ne m’aurait cru. Une fille d’une rare beauté, d’une distinction sans égale, est
venue vers moi, une cymbale dans sa main, et, chaque nuit, elle me jouait une
musique délicieuse. Voilà ce qui cause mon état de langueur, je le sais. Mais
comment faire pour me guérir ? – Ce n’est pas difficile, répondit Fingen.
Cette fille est, à l’évidence, venue vers toi parce qu’elle t’aime d’amour.
Pourquoi ne la point faire rechercher ? Envoie des messagers vers Boann,
ta mère, et prie-la de venir te parler. »
On alla donc trouver Boann à la maison de Cletech, et on
l’informa que son fils était malade. Elle se hâta d’aller à Brug-na-Boyne, et c’est
Fingen qui l’accueillit. « Je suis en train d’essayer de guérir ton fils,
lui dit-il, car il est atteint d’une grave maladie. »
Il lui expliqua ce qui causait la langueur du Mac Oc, lequel
se mourait d’avoir vu chaque nuit une jeune fille de grande beauté qui lui
jouait de la musique. « Je pense, continua Fingen, qu’en pareil cas seule
sa mère peut quelque chose pour lui. Si tu as de l’affection pour ton fils,
fais le tour de cette
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