Les conquérants de l'île verte
notre corps.
Autrefois, nos habits furent de pourpre,
nous buvions le doux hydromel ;
à présent, notre boire et notre manger,
c’est le sable et l’onde amère de la mer.
Nous avions autrefois des lits bien moelleux
de duvet ravi aux oiseaux ;
mais, à présent, nos lits sont des rochers nus
que les vagues ne peuvent pas atteindre… »
Sur ce chant, les oiseaux prirent congé des cavaliers et
s’élancèrent dans le ciel où ils disparurent bientôt. Les nobles des tribus de
Dana s’en allèrent jusqu’au palais de Lîr, à la Blanche Colline, et ils
racontèrent à tous ce que les cygnes avaient souffert et quelle était la
tristesse de leur sort. « Nous ne pouvons rien pour eux, dirent les chefs
et les nobles, mais nous sommes heureux de les savoir encore en vie, car il est
certain qu’ils seront secourus à la fin des temps. »
Quant aux enfants de Lîr, ils étaient retournés à leur
séjour de la Passe de Moyle, et ils y demeurèrent aussi longtemps qu’ils y
étaient tenus. Mais, un jour, Finula avertit ses frères qu’il fallait partir.
« Voici venue l’heure où nous devons quitter cet endroit maudit pour le
havre de Domnann. Mais d’autres épreuves nous y attendent car, là-bas, nous
n’aurons nul repos, nulle place pour atterrir, nul abri contre la tempête.
Partons néanmoins sur l’aile glacée du vent, puisque tel est notre
destin. »
Ils s’éloignèrent donc de la Passe de Moyle et, parvenus au
havre de Domnann, vécurent une vie féconde en misères et en tourments. Une
fois, la mer qui gelait autour d’eux les immobilisa totalement. Comme ses trois
frères se lamentaient, Finula les consola du mieux qu’elle put, leur affirmant
qu’ils seraient secourus quand viendrait le temps de leur délivrance. Et ils
demeurèrent ainsi au havre de Domnann pendant les trois cents ans qui leur
avaient été assignés. « Voici le moment de partir, dit un jour Finula.
Nous pouvons désormais regagner le palais de Blanche Colline, où habite notre
père avec tous ses gens. »
Ses frères s’en réjouirent grandement, et tous quatre
prirent leur envol, et l’air leur sembla soudain plus doux et plus léger. Aussi
eurent-ils tôt fait d’atteindre Blanche Colline et de s’y poser. Mais ils
furent saisis d’étonnement et d’angoisse en découvrant les lieux entièrement
déserts. On ne voyait là que des tertres verts, des pierres éparses, des
fourrés d’orties. Tous les quatre, alors, se serrèrent l’un contre l’autre et
poussèrent trois cris de douleur et de lamentation. Puis, Finula chanta ce
chant :
« Hélas ! je demeure interdite !
Pas un toit, pas un foyer !
En voyant ce qu’il est devenu,
ce lieu apporte l’amertume à mon cœur.
Pas un chien, pas une meute,
pas une femme, pas même une ombre,
nous n’avons pas connu ce lieu ainsi
quand Lîr, notre père, y régnait.
Il n’y a plus ni coupe, ni breuvage enivrant
dans une salle illuminée,
ni jeunes gens remplis de joie
autour du foyer, pendant le festin.
Mon cœur est lourd lorsque j’y pense,
lorsque je me souviens d’autrefois,
et c’est un grand chagrin de voir cette demeure
déserte et abandonnée comme ce soir. »
Cependant, les enfants de Lîr restèrent cette nuit-là sur le
lieu où s’était élevé le palais de leur père et où ils avaient grandi. Et ils
chantaient la douce musique du peuple féerique. Au petit matin, ils prirent
leur essor, s’élevèrent dans le ciel et gagnèrent l’île de Clare. Là, tous les
oiseaux du pays s’assemblèrent autour d’eux, et le lac sur lequel ils se
trouvaient fut nommé depuis le Lac des Oiseaux.
Or, c’était le temps où le bienheureux Patrick avait apporté
la foi du Christ en Irlande. Et son disciple, qui se nommait Mohévog, s’était
établi dans l’île de Clare et y avait bâti un ermitage. Au bout de leur
première nuit dans cette île, les enfants de Lîr entendirent le son d’une
cloche qui tintait non loin. Ils furent saisis d’étonnement et de crainte, car
ils n’avaient jamais rien entendu de tel. Ils écoutèrent pourtant la musique de
la cloche tant qu’elle dura et, ensuite, ils se mirent à chanter en sourdine la
douce musique des palais féeriques.
En entendant ces accents suaves, Mohévog, charmé par la
tristesse du chant, pria Dieu de lui révéler qui pouvait bien chanter cette
musique qu’il n’avait jamais entendue auparavant. Et, la nuit suivante, il eut
un songe au
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