Les contrebandiers de l'ombre
Westlea Abbot, chez sir Jacob, Dante retrouva une Rhea sortie fraîchement du bain, débarrassée de la fumée qui avait encrassé ses cheveux et sa peau et vêtue d'une robe prêtée par la parente de sir Jacob, Essie, la sourde. Sir Jacob était encore dans sa chemise de nuit et la vieille Essie, comme d'habitude, dans son fauteuil. Chacun se cala le plus confortablement possible sur les chaises et les sofas du salon, après s'être nettoyé énergiquement le visage.
Dante passa une main fatiguée dans ses cheveux en désordre. Oliver versa de grands verres de cognac, et Rhea vint s'installer à côté de son mari.
Jamaïca, ayant compris qu'elle était ici à titre d'invité, prépara la question du repas en s'installant près d'Essie.
— Ils se sont entre-tués... fit Dante.
— Sir Miles est mort ! répéta sir Jacob, encore étonné par cette bonne nouvelle, pour se pénétrer de sa vérité.
— Oui. Mais il s'est arrangé pour tuer Shelby avant de mourir.
— Bonté divine, quelle folie ! reprit sir Jacob en hochant la tête. Maintenant, ils ne feront aucun mal là où ils sont. C'est fini, je suppose ? Toutes ces années perdues à cause de cet individu corrompu et bas ! Pourquoi Shelby s'est-il jeté sur lui si soudainement ? Miles était pourtant le chef de cette bande, et les deux hommes travaillaient ensemble depuis des années.
Pourquoi s'est-il retourné contre son chef ?
Pour lui, Shelby avait dû agir comme un chien enragé qui se serait retourné contre son maître.
Tous les yeux se portèrent vers Dante, qui expliqua :
— Sir Miles était bien leur chef, mais Shelby était le seul qui agissait à visage découvert, sous le contrôle de son supérieur de Wolfingwold Abbey. Je suppose que je suis partiellement responsable de la création de cette organisation, ayant causé une fameuse banqueroute dans les affaires de sir Miles. Il tirait un certain revenu de la contrebande, constata Dante, en cherchant la vérité au fond de son verre d'un air dubitatif.
— Ridicule, mon cher Dante. Miles était né fauché. Je n'ai jamais pu le supporter. Continue...
— Apparemment, Emma Samples connaissait l'identité de Miles comme chef des Fils de Belial. Son mari a dû le découvrir et c'est pour cela qu'il a été tué. Il l'avait dit à sa femme, et elle a été également éliminée.
— Ah, je commence à comprendre, dit sir Jacob en se grattant le menton. Le meurtre d'Emma Samples présentait des similarités avec celui de Lettie Shelby. Sir Miles voulait qu'on t'accuse à nouveau.
— Oui, mais Miles en a trop fait : il s'est sali les mains et c'était imprudent de sa part. Il voulait être sûr de garder l'anonymat, de ne pas se trahir aux yeux de Shelby ; alors, il s'en est chargé lui-même sans pouvoir résister à la tentation d'attirer les soupçons sur moi. Il a perdu la tête...
— Mais comment Shelby en est-il arrivé à soupçonner Miles du meurtre de Lettie ? insista sir Jacob.
— Si j'ai bien compris, un coup reçu par Emma Samples ressemblait à un de ceux reçus par Lettie. Une impression de tête de chien sur la tempe. Evidemment un coup donné avec un pommeau de canne.
— Une tête de loup, non de chien ! Sir Miles et son intarissable vanité ! s'esclaffa sir Jacob. Il s'est condamné lui-même ! C'est étrange... Shelby était un lent, mais il s'en est quand même souvenu !
— En fait, nous le devons à Bess, déclara Dante, surprenant le grand-père désabusé.
— Bess?
— Oui. Elle a rencontré Shelby sur la route juste après qu'il eut mis le feu au pavillon de chasse, dit Dante en prenant la main de Rhea. Elle lui a dit que j'étais avec elle toute la nuit de la mort de Lettie. Et que j'étais avec sir Morgan et elle durant la nuit de 1’ assassinat d'Emma.
Je ne pouvais avoir commis aucun de ces meurtres. Jack savait ça, m'ayant vu chez Bess. Puis elle lui révéla le détail du coup. Elle a rapporté qu'il s'était décomposé comme devant le diable en personne.
— Mais que faisait Bess sur cette route ? Il devait être tard !
— Elle était venue me dire que rien ne s'était passé entre elle et Dante, déclara Rhea. Elle voulait que je sache la vérité.
Elle expliqua alors à sir Jacob comment Dante, Bess et sir Morgan s'étaient concertés pour préserver le but essentiel : démasquer le traître parmi les dragons et détruire dans une embuscade toute la bande des contrebandiers. Bess avait accepté le marché afin de se débarrasser de
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