Les contrebandiers de l'ombre
peu forcée néanmoins.
Le marin lui semblait familier. C'était un bel homme, mais ses yeux bleus étaient de glace, et son sourire à peine mieux qu'une grimace. En voilà un qui n'était pas faible et stupide comme son subordonné.
— Ce n'est pas le plaisir qui m'amène, madame.
Elle aurait pu aisément le deviner.
— Ah, vraiment ? Je pense toujours que mes vaches se sont encore égarées quand l'un de vous vient me voir. Mais comme mes vaches ne savent pas nager, la présence d'un officier de marine doit annoncer autre chose. Ou bien la Marine royale s'occupe-t-elle des laitières, à présent ?
La plaisanterie laissa le capitaine totalement indifférent. Ni Leighton, ni Rhea Claire n'auraient reconnu l'homme qui, quelques mois auparavant, trinquait joyeusement à leur santé.
— Je suis, madame, l'officier du plus haut rang dans la région et j'ai reçu des pouvoirs spéciaux pour mettre un terme aux crimes de contrebande, sur ordre de l'Amirauté, du bureau des Douanes et de Sa Majesté. Je viens vous donner un loyal avertissement : je compte nettoyer cette côte de tous les contrebandiers qui l'infestent et de leurs complices.
Même le lieutenant Handley, déjà témoin de ce genre de discours, semblait encore impressionné, tout comme lady Bess, qui devina que ce Lloyd était quelqu'un d'exceptionnel, pour avoir été investi de ces pouvoirs.
— Alors, lieutenant, vous allez prêter toute votre force au bon capitaine ?
Elle n'avait jamais pu supporter les gens obséquieux et serviles du style de Handley. Il y avait généralement une raison inavouable à un tel comportement.
— Naturellement, m’lady. J'ai assuré sir Morgan de ma plus complète collaboration. J'espère seulement que je pourrai lui être d'une aide quelconque.
Lady Bess enregistra immédiatement le dégoût qui se lut sur le visage austère du capitaine.
— Mais, capitaine, quel est le rapport entre votre mission et moi ? Je ne suis qu'une triste veuve avec deux enfants à élever.
— Je veille également à la sécurité des gens de ce pays qui vivent sous la menace permanente de cette bande de malfaiteurs, expliqua sir Morgan.
— En d'autres mots, sir Morgan, vous cherchez un informateur ?
— Quiconque me donnerait des renseignements utiles rendrait un très grand service à son roi et à la communauté locale, et pourrait aussi sauver sa tête.
— Là, je ne suis pas d'accord. Cette personne rencontrerait plus rapidement la mort que les autres. Ceci dit, je ne vois pas en quoi cette affaire me regarde. Je ne connais rien à ces histoires de contrebandiers.
— Alors, pardonnez-nous de vous avoir importunée, madame, répondit sir Morgan d'une voix rauque.
Le mépris contenu dans sa voix frappa lady Bess comme un soufflet.
— Mais pas du tout, capitaine. Accepteriez-vous une goutte de brandy, ou du thé, peut-être ?
de-manda-t-elle, redoublant d'amabilité.
Mais son visage rougit d'embarras en croisant le regard d'airain de sir Morgan, qui allait de la bouteille de sherry à lady Bess. Le thé ne semblait pas être la boisson de leur hôtesse.
— Merci, madame, mais j'ai d'autres visites à faire, dit sir Morgan, son ton impliquant un reproche à peine voilé.
— Je ne voudrais pas vous retenir, fit lady Bess, vexée.
Elle se leva, donnant le signal aux deux officiers. Le capitaine se dressa lentement, et elle vit son œil aller des tapis et des draperies dans un état calamiteux à l'emplacement vide d'un tableau qui avait servi à payer la note du boucher. Le cœur de lady Bess se serra de honte. Le lieutenant Handley ne put tout à fait retenir ses sentiments : il soupira d'exaspération.
— Bien que j'aie dit à sir Morgan que Merdraco est vide, il insiste pour aller voir le château.
Et de là, nous devons retourner à Westlea Abbot, où j'espère persuader le capitaine de se réconforter avec un verre de rhum, avant de continuer jusqu'à Wolfingwold Abbey.
— Vraiment ?
— Oui, je crois avoir vu une lumière sur une des tours de ce château il y a quelques nuits, ajouta sir Morgan.
— Merdraco n'est pas près d'être habité à nouveau, si vous voulez mon avis, répliqua lady Bess.
— Ah ? Vous croyez ? Et pourquoi cela ? demanda sir Morgan.
— Vous ne seriez pas étranger à ce coin, vous sauriez pourquoi. Le marquis, lord Jacobi, a quitté son domaine il y a bien longtemps, et nul n'en a plus entendu parler, répliqua le lieutenant, très au fait de tous les ragots.
— Je
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