Les contrebandiers de l'ombre
pas ses origines irlandaises, avait quelque difficulté à assumer son rôle de pupille du marquis de Jacobi. Il avait refusé catégoriquement de se joindre aux activités des Dominick, préférant manger aux cuisines ou avec Kirby. Ce dernier, bien que fort riche, avait décidé qu'il était trop vieux pour changer ses habitudes et se faisait servir dans sa chambre, où il était à l'écart des maîtres et des serviteurs. Sa dignité ombrageuse n'admettant pas qu'il pourrait abandonner l'honneur et le devoir de servir le marquis de Jacobi, il avait néanmoins reconnu que la vieillesse pourrait le pousser un jour à se retirer sur une petite propriété, avec la permission de son maître.
Conny Brady était encore assez jeune pour apprendre les manières d'un gentilhomme et Dante Leighton désirait lui montrer qu'il n'avait aucune raison d'être honteux de ses origines.
Quand le duc et la duchesse invitèrent l'ancien garçon de cabine à leur table, Dante insista pour qu'il accepte : en tant que pupille, il attendait de lui la même obéissance que comme garçon de cabine. Le gamin s'exécuta.
— Va-t-elle mourir, cap'taine ? demanda Conny à ce moment.
— Bien sûr que non, répondit lady Mary, compatissante. Les premières couches paraissent toujours plus malcommodes. Mais Rhea est robuste. Soyez patients.
— Elle ira bien ? la pressa Dante, qui désirait bien plus que d'être simplement rassuré.
Lady Mary sourit. L'esprit de cette femme était certainement ce qui lui donnait sa beauté.
Dante pouffa à son tour, pris au piège.
— Je ne comprends pas à tous les coups ce que je rêve ! répondit-elle. Donc, je préfère garder tout cela pour moi, sauf si ça peut aider quelqu'un.
— Vous avez donc « vu » quelque chose ? insista Dante.
Mary Fletcher reprit son sérieux et saisit le poignet de Dante.
— Apprenez à avoir plus confiance, Dante Leighton. (Le mystère s'empara de son regard, qui ne fut plus qu'un reflet argenté de son feu intérieur. Un imperceptible frisson parcourut l'échiné de Dante.) Ce n'est pas encore le moment, reprit-elle. Mais je vous parlerai de mon rêve de thym sauvage et d'aubépine, du soleil, de la lune et de la mer.
Tout cela dans un seul rêve... Dante se renfrogna. Il l'aimait bien mais commençait à se fatiguer de ses divagations mentales. Les portes s'ouvrirent subitement. Tout le monde sursauta. La duchesse apparut pour tomber d'épuisement dans les bras de son mari, toute pâle et moite.
— Rhea?
Esquissant un sourire fatigué, Sabrina chuchota :
— Elle va bien. Et vous, Dante Leighton, êtes le père d'un très bruyant fils.
Le révérend Smalley retourna donc en chaire pour le baptême de Christopher Leighton, seigneur de Sandrake. Lord Kit, comme on l'avait déjà surnommé, possédait effectivement une voix superbe qui empêcha le bon père de s'entendre prêcher. Son devoir accompli, le révérend Smalley regagna le château en envisageant l'éventualité d'une retraite anticipée.
— Je ne t'ai pas remerciée de 1’avoir appelé Christopher, fit Dante. Une bonne surprise pour moi.
— Je n'oublie pas ce que tu me confies, déclara Rhea, lissant les fins cheveux de son fils. Ce capitaine Christopher fut très important pour toi, plus même, je crois, que ton père.
— J'ai appris à ressentir une certaine... (Dante cherchait le mot juste)... une certaine affection, ou un attachement pour ta famille, Rhea. Et bien que ce soit d'abord un Leighton, je veux qu'il soit un membre à part entière de ta famille.
Ce n'était pas un aveu facile. Chacun le savait. Rhea couva son fils des yeux, puis l'emmena dans son berceau près du lit. Elle berça le bébé un instant. L'enfant tomba rapidement dans ce profond sommeil que seuls les nouveau-nés connaissent.
Elle s'étira longuement, puis soupira en sentant les mains de Dante masser délicatement les muscles tendus de son dos, puis la chaleur de ses lèvres à la base de son cou. Elle glissa sur lui, pour permettre à ses mains de se déplacer plus bas vers la poitrine, sous le décolleté de sa robe.
— Si nous restions un moment ici, à surveiller le petit, m'lady ? murmura-t-il contre son oreille, ses dents mordillant son lobe de velours. (Malgré ses dessous de dentelle, elle pouvait éprouver sa vigueur alors qu'il la prenait par les hanches, ses ongles crissant sur la soie.) Je crois que c'est le moment de refaire connaissance...
— Mais ils nous attendent au salon, soupira-t-elle,
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