Les contrebandiers de l'ombre

voyage pour se restaurer et reposer les chevaux. De longs paniers regorgeant de victuailles furent installés dans un pré, tandis que de grandes couvertures étaient dépliées sur l'herbe épaisse. Bientôt, le soleil agit comme un somnifère. L univers semblait si tranquille ! Rhea ouvrit les yeux, encore prise dans les brumes de sa sieste, mais remplie d'une agréable impression de sécurité et de paix. Pourtant, dans un moment, ils allaient reprendre la route et faire face à leur destin. Elle contempla le visage de son mari conversant avec Alastair et Francis. Elle se remémora la conversation qu'ils avaient eue, quelques jours auparavant, au sujet de son fameux tuteur.
    Dante lui avait expliqué comment sir Miles Sandbourne avait prétendu être l'ami et le confident du jeune homme qu'il était, privé de son père très tôt dans la vie, tout en organisant sa revanche contre l'héritier d'une famille qu'il haïssait.
    Dante lui avait d'abord parlé de sa mère, lady Elayne, orpheline dès sa plus petite enfance et recueillie par son grand-oncle, le vieux marquis de Jacobi. Ayant grandi avec son cousin, des fiançailles avec le fils du marquis ne furent une surprise pour personne, excepté pour un homme qui savait que lui, et non John Leighton, avait le cœur de la belle lady Elayne. Cet homme était sir Miles Sandbourne, cadet d'une famille peu fortunée, et qui donc n'aurait eu aucune chance dans cette compétition. Même pourvu d'une grande fortune et d'un titre, il n'aurait pu s'opposer à la volonté de fer du vieux marquis : voir lady Elayne mariée à son fils.
    Comme elle se sentait liée au vieil homme autoritaire, qui avait tout mis à sa disposition pendant des années, elle avait accepté de se soumettre à cette décision, mais son cœur était resté à sir Miles. La belle Elayne avait donc épousé l'héritier de Merdraco. Lord John était mort prématurément après sept ans d'union, en laissant un fils derrière lui.
    Miles Sandbourne, que le décès de son frère aîné avait laissé en possession d'un domaine, Wolfingwold Abbey, et d'un titre, avait pu alors se présenter à la désirable veuve. Rien ne s'y était plus opposé. Ils s'étaient mariés peu après. Mais sir Miles, qui n'avait jamais pu oublier l'affront de ce premier mariage, avait nourri une haine grandissante, au cours des années, contre lady Elayne et contre les Leighton. Et ce fut un homme transformé par des années de ressentiment qui prépara une subtile revanche contre ceux qui l'avaient humilié. Ce ne fut que trop tard que lady Elayne comprit ce qui se tramait.
    A ce moment, sir Miles avait détruit sa vie et celle de son fils, qui était pour lui un rappel constant de cette humiliation. Dès son enfance, le jeune héritier Leighton fut transformé en instrument de vengeance dans les mains de sir Miles, installé à Merdraco dès la mort du vieux marquis.
    Lady Elayne eut à subir la présence des maîtresses de sir Miles dans leurs appartements, mais finalement, elle avait compris que son fils avait été sciemment débauché et monté contre elle.
    Elle s'était aussi aperçue que son fils serait bientôt rejeté par tous, car la fortune des Leighton, gérée par sir Miles, était au bord de l'effondrement. Les Leighton allaient déclarer banqueroute.
    En effet, sir Miles avait poussé sa générosité de tuteur jusqu'à acheter les terres de Merdraco à Dante, contre la promesse de les lui revendre dans sa vingtième année, et ainsi de les sauver de la dispersion. Aux yeux de la société, sir Miles en avait fait plus qu'assez pour le jeune lord Jacobi, que chacun savait être un viveur sans caractère.
    A son vingtième anniversaire, Dante avait constaté qu'il ne pouvait plus bénéficier que d'un quart de son héritage, ce qui était tout juste suffisant pour couvrir ses énormes dettes.
    Ce fut au même moment, en plein automne, que Dante Leighton avait été accusé de meurtre et que sa fiancée s'était détournée de lui à cette occasion. Sa mère avait essayé en vain de le mettre en garde contre l'homme qu'il avait considéré comme un père.
    La mort tragique de sa mère l'avait ramené à la réalité. Il était arrivé trop tard pour l'enterrement, mais il avait appris de la bouche de la femme de chambre de lady Elayne que celle-ci n’avait peut-être pas glissé de la falaise par accident. Ce n'était pas seulement le désespoir de voir son fils victime de son mari qui l'avait tuée, mais, plus