Les croisades vues par les arabes
faire la guerre une fois qu'on se connaît et qu'on a mangé ensemble », mais il autorise son frère à rencontrer Richard, à condition que chacun d'eux soit entouré de ses soldats. Les contacts se poursuivent donc, mais sans grands résultats. En fait , explique Bahaeddin, l'intention des Franj, en nous envoyant des messagers, était surtout de connaître nos points forts et nos faiblesses. Nous-mêmes, en les recevant, avions exactement le même but. Si Richard a sincèrement envie de connaître le conquérant de Jérusalem, il n'est certainement pas venu en Orient pour négocier.
andis que ces échanges se poursuivent, le roi anglais prépare activement l'assaut final contre Acre. Entièrement coupée du monde, la ville vit dans la famine. Seuls quelques nageurs d'élite peuvent encore l'atteindre, au péril de leurvie. Bahaeddin relate l'aventure de l'un de ces commandos.
Il s'agit, précise-t-il, de l'un des épisodes les plus curieux et les plus exemplaires de cette longue bataille. Il y avait un nageur musulman du nom de Issa qui avait l'habitude de plonger la nuit sous les vaisseaux ennemis et de faire irruption de l'autre côté, où l'attendaient les assiégés. Il transportait généralement, attachés à sa ceinture, de l'argent et des messages destinés à la garnison. Une nuit qu'il avait plongé avec trois bourses contenant mille dinars et plusieurs lettres, il fut repéré et tué. Nous sûmes très vite qu'un malheur était arrivé car Issa nous informait régulièrement de son arrivée en lâchant un pigeon de la ville en notre direction. Cette nuit-la, aucun signe ne nous parvint. Quelques jours plus tard, des habitants d'Acre qui se trouvaient au bord de l'eau virent un corps s'échouer sur le rivage. En s'approchant, ils reconnurent Issa le nageur, qui avait toujours autour de sa ceinture l'or et la cire avec laquelle les lettres étaient scellées. A-t-on jamais vu un homme remplir sa mission même après sa mort aussi fidèlement que s'il était encore en vie?
L'héroïsme de certains combattants arabes n'y suffit pas. La situation de la garnison d'Acre devient critique. Au début de l'été 1191, les appels des assiégés ne sont plus que des cris de désespoir : « Nous sommes au bout de nos forces et nous n'avons plus d'autre choix que la capitulation. Dès demain, si vous ne faites rien pour nous, nous demanderons la vie sauve et nous livrerons la ville. » Saladin cède à la dépression. Ayant désormais perdu toute illusion sur la cité assiégée, il pleure à chaudes larmes. Ses proches craignent pour sa santé, et les médecins lui prescrivent des potions pour le calmer. Il demande aux hérauts d'aller crier par tout le camp qu'une attaque massive va être lancée pour dégager Acre. Mais ses émirs ne le suivent pas. « Pourquoi, rétorquent-ils, mettre toute l'armée musulmane inutilement en péril? » Les Franj sont maintenant si nombreux et si solidement retranchés que toute offensive serait suicidaire.
Le 11 juillet 1191, après deux ans de siège, des drapeaux croisés apparaissent subitement sur les remparts d’Acre.
Les Franj poussèrent un immense cri de joie, alors que dans notre camp, tout le monde était hébété. Les soldats pleuraient et se lamentaient. Quant au sultan, il était comme une mère qui vient de perdre son enfant. J’allai le voir en faisant mon possible pour le réconforter. Je lui dis qu'il devait désormais songer à l'avenir de Jérusalem et des villes du littoral, et se préoccuper du sort des musulmans capturés à Acre.
Surmontant sa peine, Saladin envoie un messager à Richard pour discuter des conditions pour la libération des prisonniers. Mais l'Anglais est pressé. Bien décidé a profiter de son succès pour lancer une vaste offensive, il n'a pas le temps de s'occuper des captifs, pas plus que le sultan quatre ans plus tôt, lorsque les villes franques tombaient entre ses mains les unes après les autres. La seule différence est que ne voulant pas s'encombrer de prisonniers Saladin les avait relâchés. Alors que Richard, lui, préfère les exterminer. Deux mille sept cents soldats de la garnison d'Acre sont rassemblés devant les murs de la cité, avec près de trois cents femmes et enfants de leurs familles. Attachés par des cordes pour ne plus former qu'une seule masse de chair, ils sont livrés aux combattants francs qui s'acharnent sur eux avec leurs sabres, leurs lances et mêmes des pierres, jusqu'à ce que tous les
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