Les croisades vues par les arabes
Saladin. Après Hittin, après Jérusalem, Ibn al-Athir s'associe à l'allégresse générale du monde arabe. Ce qui ne l'empêche pas de relever, sans complaisance aucune, les erreurs du héros. S'agissant de Tyr, les reproches formulés par l'historien sont parfaitement justifiés.
Chaque fois qu'il s'emparait d'une ville ou d'une forteresse franque, comme Acre, Ascalon ou Jérusalem, Salaheddin permettait aux chevaliers et aux soldats ennemis de s'exiler à Tyr, si bien que cette cité était devenue pratiquement imprenable. Les Franj du littoral envoyèrent des messages à ceux qui étaient au delà des mers, et ces derniers promirent de venir à leur secours. Ne devrait-on pas dire que c'est Salaheddin lui-même qui a en quelque sorte organisé la défense de Tyr contre sa propre armée?
Certes, on ne peut reprocher au sultan la magnanimité avec laquelle il a traité les vaincus. Sa répugnance à verser le sang inutilement, le strict respect de ses engagements, la noblesse émouvante de chacun de ses gestes ont, aux jeux de l'Histoire, au moins autant de valeur que ses conquêtes. Il est cependant incontestable qu'il a commis une grave erreur politique et militaire. En s'emparant de Jérusalem, il sait qu'il défie l'Occident, et que celui-ci réagira. Permettre, dans ces conditions, à des dizaines de milliers de Franj de se retrancher à Tyr, la plus puissante place forte du littoral, c'est offrir une tête de pont idéale à une nouvelle invasion. Surtout que les chevaliers ont trouvé, en l'absence du roi Guy, toujours captif, un chef particulièrement tenace en la personne de celui que les chroniqueurs arabes appellent « al-Markich », le marquis Conrad de Montferrat, nouvellement arrivé d'Occident.
Sans être inconscient du danger, Saladin le sous-estime. Dès novembre 1187, quelques semaines après la conquête de la Ville sainte, il entame le siège de Tyr. Mais il le fait sans grande détermination. L'antique cité phénicienne ne peut être prise qu'avec le concours massif de la flotte égyptienne. Saladin le sait. Pourtant, il se présente devant les remparts avec en tout et pour tout dix vaisseaux, dont cinq sont rapidement brûlés par les défenseurs au cours d'un audacieux coup de main. Les autres s'enfuient en direction de Beyrouth. Privée de marine, l'armée musulmane ne peut plus attaquer Tyr qu'à travers l'étroite corniche qui relie la cité à la terre ferme. Dans ces conditions, le siège peut durer des mois. D'autant que les Franj, efficacement mobilisés par al-Markich, semblent prêts à se battre jusqu'au dernier. Epuisés par cette interminable campagne, la plupart des émirs conseillent à Saladin de renoncer. Avec de l'or, le sultan aurait pu convaincre certains d'entre eux de rester à ses côtés. Mais les soldats coûtent cher en hiver, et les caisses de l’Etat sont vides. Lui-même est las. Il démobilise donc la moitié de ses troupes, puis, levant le siège, se dirige vers le nord, où bien des villes, bien des forteresses peuvent être reconquises sans grand effort.
Pour l'armée musulmane, c'est à nouveau une marche triomphale : Lattaquié, Tartous, Baghras, Safed, Kawkab..., la liste des conquêtes est longue. Il serait plus simple d'énumérer ce qui reste aux Franj en Orient : Tyr, Tripoli, Antioche et son port, ainsi que trois forteresses isolées. Mais, dans l'entourage de Saladin, les plus perspicaces ne s'y trompent pas. A quoi bon accumuler les conquêtes si rien n'assure qu'on pourra décourager toute nouvelle invasion? Le sultan lui-même affiche une sérénité à toute épreuve. « Si des Franj viennent d'au delà des mers, ils subiront le même sort que ceux d'ici! » clame-t-il lorsqu'une flotte sicilienne se manifeste devant Lattaquié. En juillet 1188, il n'hésite d'ailleurs pas à relâcher Guy, non sans lui avoir fait jurer solennellement de ne plus jamais prendre les armes contre les musuhnans.
Ce dernier cadeau lui coûtera cher. En août 1189, le roi franj, reniant sa parole, vient assiéger le port d'Acre. Les forces dont il dispose sont modestes, mais des navires arrivent désormais chaque jour, déversant sur le littoral des vagues sucessives de combattants occidentaux.
Après la chute de Jérusalem, raconte Ibn aI-Athir, les Franj se sont habillés en noir, et ils sont partis au delà des mers afin de demander aide et secours dans toutes les contrées, notamment à Rome la Grande. Pour inciter les gens à la vengeance, ils
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