Les croisades vues par les arabes
pour l'été et une autre pour l'hiver. Je suis un vieil homme, qui n'a plus que faire des plaisirs de l'existence. Je vais rester ainsi à attendre, jusqu'à ce que Dieu donne la victoire à l'un de nous. »
Apparemment impressionné par ce langage, Richard fait savoir dans les jours qui suivent qu'il est prêt à renoncer à Ascalon. Et, au début de septembre 1192, une paix est signée pour cinq ans. Les Franj conservent la zone côtière allant de Tyr à Jaffa et reconnaissent l'autorité de Saladin sur le reste du pays, dont Jérusalem. Les guerriers occidentaux, qui ont obtenu du sultan des sauf-conduits, se précipitent vers la Ville sainte pour prier sur le tombeau du Christ. Saladin reçoit courtoisement les plus importants d'entre eux, les invitant même à partager ses repas et leur confirmant sa ferme volonté de préserver la liberté du culte. Mais Richard refuse de s'y rendre. Il ne veut pas entrer en invité dans une ville où il s'était promis d'entrer en conquérant. Un mois après la conclusion de la paix, il quitte la terre d'Orient sans avoir vu ni le Saint-Sépulcre ni Saladin.
Le sultan est finalement sorti gagnant de ce pénible affrontement avec l’Occident. Certes, les Franj ont repris le contrôle de quelques villes, obtenant ainsi un sursis de près de cent ans. Mais jamais plus ils ne constitueront une puissance capable de dicter sa loi au monde arabe. Ils ne contrôleront plus de vrais Etats, rien que des établissements.
En dépit de ce succès, Saladin se sent meurtri et quelque peu diminué. Il ne ressemble plus guère au héros charismatique de Hittin. Son autorité sur ses émirs s'est affaiblie, ses détracteurs sont de plus en plus virulents. Physiquement, il se porte mal. Sa santé, il est vrai, n'a jamais été excellente, l'obligeant, depuis des années déjà, à consulter régulièrement les médecins de la cour, à Damas cgmme au Caire. Dans la capitale égyptienne, il s'est notamment attaché les services d'un prestigieux « tabib » judéo-arabe venu d’Espagne, Moussa Ibn Maimoun, mieux connu sous le nom de Maimonide. Il n'en demeure pas moins que durant les années les plus dures de la lutte contre les Franj il a subi de fréquents accès de paludisme qui l'ont forcé à s’aliter pendant de longues journées. Pourtant, en 1192, ce n'est pas l'évolution d'une quelconque maladie qui inquiète ses médecins mais un affaiblissement général, une sorte de vieillissement prématuré que constatent tous ceux qui approchent le sultan. Saladin n'est que dans sa cinquante-cinquième année, mais lui-même a conscience d'avoir atteint le terme de son existence.
Les derniers jours de sa vie, Saladin les passe paisiblement dans sa ville préférée, Damas, au milieu des siens. Bahaeddin ne le quitte plus, notant affectueusement chacun de ses gestes. Le jeudi 18 février 1193, il le rejoint dans le jardin de son palais de la citadelle.
Le sultan s'était assis à l'ombre, entouré.des plus jeunes de ses enfants. Il demanda qui l'attendait à l'intérieur. « Des messagers francs, lui répondit-on, ainsi qu'un groupe d'émirs et de notables. » Il fit appeler les Franj. Quand ils se présentèrent devant lui, il portait sur ses genoux l'un de ses petits garçons, l'émir Abou-Bakr, qu'il chérissait beaucoup. En voyant l'aspect des Franj, avec leurs visages glabres, leur coupe de cheveux, leurs vêtements curieux, l'enfant prit peur et se mit à pleurer. Le sultan s'excusa auprès des Franj et mit fin à l'entretien sans avoir écouté ce qu'ils voulaient lui communiquer. Puis il me dit : « Est-ce que tu as mangé quelque chose aujourd'hui? » C'était sa manière d'inviter au repas. Il ajouta : « Qu'on nous apporte quelque chose à manger! » On nous servit du riz avec du lait caillé et d'autres plats tout aussi légers, et il mangea. Cela me rassura car je pensais qu'il avait perdu tout appétit. Depuis quelque temps, il se sentait lourd et ne pouvait rien mettre en bouche. Il se déplaçait péniblement et s'en excusait auprés des gens.
Ce jeudi-là, Saladin se sent même suffisamment en forme pour aller à cheval accueillir une caravane de pèlerins de retour de La Mecque. Mais, deux jours plus tard, il n'arrive plus à se lever. Il a sombré peu à peu dans un état de léthargie. Ses moments de conscience se font de plus en plus rares. La nouvelle de sa maladie s'étant répandue de par la ville, les Damascains craignent de voir leur cité bientôt sombrer
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