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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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dans l'anarchie.
Les tissus furent retirés des souks par peur du pillage. Et tous les soirs, lorsque je quittais le chevet du sultan pour rentrer chez moi, les gens s'agglutinaient sur mon chemin pour tenter de deviner, d'après mon expression, si l'inévitable s'était déjà produit.
    Le 2 mars au soir, la chambre du malade est envahie par les femmes du palais qui n'arrivent pas à retenir leurs larmes. L'état de Saladin est si critique que son fils aîné al-Afdal demande à Bahaeddin ainsi qu'à un autre collaborateur du sultan, le cadi al-Fadil, de passer la nuit dans la citadelle. « Ce serait imprudent, répond le cadi, car, si les gens de la ville ne nous voyaient pas sortir, ils penseraient au pire, et il pourrait y avoir du pillage. » Pour veiller le malade, on fait venir un cheikh qui habite à l'intérieur de la citadelle.
Celui-ci lisait des versets du Coran, parlait de Dieu et de l'au delà, alors que le sultan gisait sans conscience. Quand je suis revenu le lendemain matin, il était déjà mort. Dieu en ait miséricorde! On m'a raconté que lorsque le cheikh a lu le verset disant : Il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, et c'est à lui que je m'en remets, le Sultan a souri, son visage s'est illuminé, puis il a rendu l'âme.
    Aussitôt sue la nouvelle de sa mort, de nombreux Damascains se dirigent vers la citadelle, mais les gardes les empêchent d'y pénétrer. Seuls les grands émirs et les principaux ulémas sont autorisés à présenter leurs condoléances à al-Afdal, fils aîné du sultan défunt, assis dans un des salons du palais. Les poètes et les orateurs sont invités à garder le silence. Les plus jeunes enfants de Saladin sortent dans la rue et se mêlent à la foule en sanglotant.
Ces scènes insoutenables, raconte Bahaeddin, se poursuivirent jusqu'après la prière de midi. On s’employa alors à laver le corps et à’ le revêtir du linceul; tous les produits utilisés à cet effet durent être empruntés car le sultan ne possédait rien en propre. Bien qu'invité à la cérémonie du lavage, effectuée par le théologien al-Dawlahi, je n'ai pas eu le courage d'y assister. Après la prière de midi, on porta le corps au-dehors dans un cercueil enveloppé d'un drap. En apercevant le cortège funèbre, la foule commença à pousser des cris de lamentation. Puis on vint prier sur sa dépouille, groupe après groupe. Alors, le sultan fut transporté vers les jardins du palais, là où il avait été soigné pendant sa maladie, puis enseveli dans le pavillon occidental. On le mit en terre à l'heure de la prière de l'après-midi. Que Dieu sanctifie son âme et illumine sa tombe!

CHAPITRE XII 
LE JUSTE ET LE PARFAIT
    Comme tous les grands dirigeants musulmans de son époque, Saladin a pour successeur immédiat la guerre civile. A peine a-t-il disparu que l'empire est dépecé. Un de ses fils prend l'Egypte, un autre Damas, un troisième Alep. Fort heureusement, la plupart de ses dix-sept enfants mâles, ainsi que son unique fille, sont trop jeunes pour se battre, ce qui limite quelque peu le morcellement. Mais le sultan laisse aussi deux frères et plusieurs neveux qui veulent tous leur part de l'héritage et, si possible, le legs tout entier. Il faudra près de neuf années de combats, d'alliances, de trahisons et d'assassinats pour que l'empire ayyoubide obéisse à nouveau à un seul chef : al-Adel, « le Juste », l'habile négociateur qui a failli devenir le beau-frère de Richard Cœur de Lion. 
    Saladin se méfiait un peu de son cadet, trop beau parleur, trop intrigant, trop ambitieux et exagérément complaisant à l'égard des Occidentaux. Aussi lui avait-il confié un fief sans grande importance : les châteaux pris à Renaud de Châtillon sur la rive est du Jourdain. A partir de ce territoire aride et quasiment inhabité, estimait le sultan, il ne pourrait jamais prétendre diriger l'empire. C'était mal le connaître. En juillet 1196, al-Adel arrache Damas à al-Afdal. Le fils de Saladin, âgé de vingt-six ans, s'était montré totalement incapable de gouverner. Laissant le pouvoir effectif à son vizir Diyaeddin Ibn al-Athir, frère de l'historien, il s'adonnait à l'alcool et aux plaisirs du harem. Son oncle s'en débarrasse à la faveur d'un complot et l’exile vers la forteresse voisine de. Salkhad, où al-Afdal, dévoré par le remords, promet d'abandonner sa vie dissolue pour se consacrer à la prière et à la méditation. En novembre 1198, un autre fils de

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