Les croisades vues par les arabes
Saladin, al-Aziz, maître de l'Egypte, se tue en tombant de cheval au cours d'une chasse au loup dans le voisinage des Pyramides. Al-Afdal ne résiste pas à la tentation de quitter sa retraite pour prendre la succession, mais son oncle n'a aucun mal à lui arracher sa nouvelle possession et à le renvoyer à sa vie de reclus. A partir de 1202, al-Adel est, à cinquante-sept ans, le maître incontesté de l'empire ayyoubide.
S'il n'a ni le charisme ni le génie de son illustre frère, il est meilleur administrateur. Le monde arabe connaît sous son égide une ère de paix, de prospérité et de tolérance. Estimant que la guerre sainte n'avait plus de raison d'être après la récupération de Jérusalem et l'affaiblissement des Franj, le nouveau sultan adopte à l'égard de ces derniers une politique de coexistence et d'échanges commerciaux; il encourage même l'installation en Egypte de plusieurs centaines de marchands italiens. Une accalmie sans précédent va régner sur le front arabo-franc pendant plusieurs années.
Dans un premier temps, les Ayyoubides étant absorbés par leurs querelles, les Franj ont essayé de remettre un peu d'ordre dans leur territoire gravement amputé. Avant de quitter l’Orient, Richard a confié le royaume de Jérusalem, dont Acre est désormais la capitale, à l'un de ses neveux, « al-cond-Herri », le comte Henri de Champagne. Quant à Guy de Lusignan, déconsidéré après sa défaite à Hittin, il est exilé avec les honneurs en devenant roi de Chypre, où sa dynastie régnera pendant quatre siècles. Pour compenser la faiblesse de son Etat, Henri de Champagne cherche à conclure une, alliance avec les Assassins. Il se rend en personne à l'une de leurs forteresses, al-Kahf, pour rencontrer leur grand maître. Sinan, le vieux de la montagne, est mort peu de temps auparavant, mais son successeur exerce sur la secte la même autorité absolue. Pour le prouver à son visiteur franc, il ordonne à deux adeptes de se jeter du haut des remparts, ce qu'ils font sans un instant d'hésitation - le grand maître s'apprête même à poursuivre la tuerie, mais Henri le supplie d'y mettre fin. Un traité d'alliance est conclu. Pour honorer leur invité, les Assassins lui demandent s'il n’a pas un meurtre à leur confier. Henri les remercie en promettant de recourir à leurs services si l'occasion s'en présente. Ironie du sort, peu après avoir assisté à cette scène, le neveu de Richard meurt le 10 septembre 1197 en tombant accidentellement d'une fenêtre de son palais d'Acre.
Durant les semaines qui suivent sa disparition ont lieu les seuls affrontements sérieux qui marquent cette période. Des pèlerins allemands fanatisés s'emparent en effet de Saïda et de Beyrouth, avant de se faire tailler en pièces sur la route de Jérusalem, tandis qu'au même moment al-Adel récupère Jaffa. Mais, le 1er juillet 1198, une nouvelle trêve est signée pour une durée de cinq ans et huit mois, trêve que le frère de Saladin met à profit pour consolider son pouvoir. En homme d'Etat avisé, il sait désormais qu'il ne suffit plus de s'entendre avec les Franj du littoral pour éviter une nouvelle invasion, mais que c'est à l'Occident même qu'il s'agit de s'adresser. Ne serait-il pas opportun d'utiliser ses bons rapports avec les marchands italiens pour les convaincre de ne plus déverser sur l'Egypte et la Syrie des flots de guerriers incontrôlés?
En 1202, il recommande à son fils al-Kamel, « le Parfait ». vice-roi d'Egypte, d'engager des pourparlers avec la sérénissime république de Venise, principale puissance maritime de la Méditerranée. Les deux Etats parlant le langage du pragmatisme et des intérêts commerciaux, un accord est rapidement conclu. Al-Kamel garantit aux Vénitiens l'accès des ports du delta du Nil, tels Alexandrie ou Damiette, et leur offre toute la protection et l'assistance nécessaires; en échange, la République des doges promet de ne soutenir aucune expédition occidentale contre l'Egypte. Les Italiens, qui, contre la promesse d'une forte somme, viennent de signer avec un groupe de princes occidentaux un accord prévoyant précisément le transport de près de trente-cinq mille guerriers francs vers l’Egypte, préfèrent garder ce traité secret. Négociateurs habiles, les Vénitiens sont décidés à ne rompre aucun de leurs engagements.
Lorsque les chevaliers, prêts à s'embarquer, arrivent dans la cité de l’Adriatique, ils sont
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