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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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chaleureusement accueillis par le doge Dandolo. C'était , nous dit Ibn al-Athir, un très vieil homme aveugle et, quand il montait à cheval, il avait besoin d'un écuyer pour guider sa monture. En dépit de son âge et de son infirmité, Dandolo annonce son intention de participer lui-même à l'expédition sous l'étendard de la croix. Toutefois, avant le départ, il exige des chevaliers la somme convenue. Et lorsque ceux-ci demandent de retarder le paiement, il n'accepte qu'à la condition que l'expédition commence par l'occupation du port de Zara qui, depuis quelques années, concurrence les Vénitiens dans l'Adriatique. Ce n'est pas sans hésitations que les chevaliers s'y résignent, car Zara est une ville chrétienne appartenant au roi de Hongrie, fidèle serviteur de Rome, mais ils n'ont pas le choix : le doge exige ce petit service ou le paiement immédiat de la somme promise. Zara est donc attaquée et pillée en novembre 1202. 
    Mais les Vénitiens visent plus haut. Ils essaient maintenant de convaincre les chefs de l'expédition de faire un détour par Constantinople afin d'installer sur le trône impérial un jeune prince favorable aux Occidentaux. Si l'objectif final du doge est évidemment de donner à sa république le contrôle de la Méditerranée, les arguments qu'il avance sont habiles. Utilisant la méfiance des chevaliers envers les « hérétiques » grecs, leur faisant miroiter les immenses trésors de Byzance, expliquant à leurs chefs que le contrôle de la cité des Roum leur permettrait de lancer des attaques plus efficaces contre les musulmans, ils parviennent à emporter la décision. En juin 1203, la flotte vénitienne arrive devant Constantinople.
Le roi des Roum s'enfuit sans avoir combattu, raconte Ibn al-Athir, et les Franj installèrent leur jeune candidat sur le trône. Mais du pouvoir il n'avait que le nom, car toutes les décisions étaient prises par les Franj. Ils imposèrent aux gens de très lourds tributs et quand le paiement s'avéra impossible ils prirent tout l'or et les joyaux, même ce qui était sur les croix et sur les images du Messie, la paix soit avec lui! Les Roum alors se révoltèrent, tuèrent le jeune monarque, puis, expulsant les Franj de la cité, ils barricadèrent les portes. Comme leurs forces étaient réduites, ils dépêchèrent un messager à Suleiman, fils de Kilij Arslan, maître de Konya, afin qu'il vienne à leur secours. Mais il en fut incapable.
    Les Roum n'étaient effectivement pas en mesure de se défendre. Non seulement leur armée était formée en bonne partie de mercenaires francs, mais de nombreux agents vénitiens agissaient contre eux à l'intérieur même de leurs murs. En avril 1204, après à peine une semaine de combats, la ville était envahie et, pendant trois jours, livrée au pillage et au carnage. Des icônes, des statues, des livres, d'innombrables objets d'art, témoins des civilisations grecque et byzantine, étaient volés ou détruits, et des milliers d'habitants égorgés.
Tous les Roum furent tués ou dépouillés, relate l'historien de Mossoul. Quelques-uns de leurs notables tentèrent de se réfugier dans la grande église qu'ils appellent Sophia, poursuivis par les Franj. Un groupe de prêtres et de moines sortirent alors, portant des croix et des évangiles, pour supplier les attaquants de préserver leur vie, mais les Franj ne prêtèrent aucune attention à leurs prières. Ils les massacrèrent tous puis ils pillèrent l'église.
    On raconte aussi qu'une prostituée venue avec l'expédition franque s'assit sur le trône du patriarche en entonnant des chansons paillardes, tandis que des soldats ivres violaient les nonnes grecques dans les monastères voisins. Le sac de Constantinople, l'un des actes les plus dégradants de l'Histoire, fut suivi, comme l'a dit Ibn al-Athir, de l'intronisation d'un empereur latin d'Orient, Baudouin de Flandre, dont, bien entendu, les Roum ne reconnaîtront jamais l'autorité. Les rescapés de la cour impériale iront s'installer à Nicée, qui deviendra la capitale provisoire de l'empire grec jusqu'à la reprise de Byzance, cinquante-sept ans plus tard.
    Loin de renforcer les établissements francs en Syrie, la folle équi ée de Constantinople leur porte un coup sévère. En effet, pour ces nombreux chevaliers qui viennent chercher fortune en Orient, la terre grecque offre désormais de meilleures perspectives. Des fiefs y sont à prendre, des richesses à amasser, alors que

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