Les croisades vues par les arabes
enfants, était quelque peu déplacé lorsque le « fils » est un grand chevalier poilu!
En imaginant la scène que l'on vient de leur rapporter, les soldats de l'armée musulmane rient haut et fort. Mais la suite du récit les fait frémir : quelques jours après la cérémonie, « père et mère » ont été lynchés par la foule à l'instigation du « fils » qui a assisté, impassible, à leur mise à mort, avant de se proclamer « comte » d'Edesse et de confier à ses compagnons francs tous les postes importants de l'armée et de l'administration.
Voyant ses appréhensions confirmées, Karbouka organise le siège de la ville. Mais ses émirs tentent à nouveau de l'en dissuader. Les trois mille soldats francs d'Edesse n'oseront jamais s'attaquer à l'armée musulmane, qui aligne des dizaines de milliers d'hommes; en revanche, ils sont amplement suffisants pour défendre la ville elle-même et le siège risque de se prolonger pendant des mois. Entre-temps, Yaghi Siyan, abandonné à son sort, pourrait céder à la pression des envahisseurs. L'atabek ne veut rien entendre. Et ce n'est qu'après avoir perdu trois semaines sous les murs d'Edesse qu'il reconnaît son erreur et reprend, à marches forcées, la route d'Antioche.
Dans la ville assiégée, l'espoir des premiers jours de mai a cédé la place au désarroi le plus total. Au palais comme dans la rue, on ne comprend pas pourquoi les troupes de Mossoul tardent tant. Yaghi Siyan est au désespoir.
La tension est à son paroxysme lorsque le 2 juin, peu avant le coucher du soleil, les sentinelles signalent que les Franj ont réuni toutes leurs forces et se dirigent vers le nord-est. Emirs et soldats n'ont qu'une explication : Karbouka est dans le voisinage, et les assiégeants vont à sa rencontre. En quelques minutes, le bouche à oreille a alerté maisons et remparts. La cité respire à nouveau. Dès demain, l'atabek dégagera la ville. Dès demain, le cauchemar prendra fin. La soirée est fraîche et humide. On passe de longues heures à discuter au seuil des maisons, toutes lumières éteintes. Enfin Antioche s'endort, épuisée mais confiante.
Quatre heures du matin : au sud de la ville, le bruit sourd d'une corde qui frotte contre la pierre. Un homme se penche du haut d'une grosse tour pentagonale et fait des signes de la main. Il n'a pas fermé l'œil de la nuit et sa barbe est ébouriffée. Il s'appelle Firouz, un fabricant de cuirasses préposé à 1a défense des tours, dira Ibn al-Athir. Musulman d'origine arménienne, Firouz a longtemps appartenu à l'entourage de Yaghi Siyan. mais celui-ci l'a dernièrement accusé de pratiquer le marché noir, lui infligeant une lourde amende. Cherchant à se venger, Firouz est entré en contact avec les assiégeants. Il contrôle, leur a-t-il dit, l'accès d'une fenêtre donnant sur la vallée, au sud de la ville, et il se montre prêt à les faire entrer. Mieux, pour leur prouver qu'il ne leur tend pas un piège, il leur a envoyé son propre fils en otage. De leur côté, les assiégeants lui ont promis de l'or et des terres. Le plan a été arrêté : on agira le 3 juin à l'aube. La veille, pour tromper la vigilance de la garnison, les assiégeants ont fait semblant de s'éloigner.
Quand l'accord fut conclu entre les Franj et ce maudit fabricant de cuirasses, racontera Ibn al-Athir, ils grimpérent vers cette petite fenêtre, l’ouvrirent et firent monter beaucoup d'hommes à l'aide de cordes. Quand ils furent plus de cinq cents, ils se mirent à sonner de la trompette à l'aube, alors que les défenseurs étaient épuisés par leur longue veillée. Yaghi Sivan se leva et demanda ce qui se passait. On lui répondit que le son des trompettes venait de la citadelle qui avait sûrement été prise.
Les bruits viennent de la tour des Deux-Sœurs. Mais Yaghi Siyan ne prend pas la peine de vérifier. Il croit que tout est perdu. Cédant à l'épouvante, il ordonne d'ouvrir l'une des portes de la ville et, accompagné de quelques gardes, s'enfuit. Hagard. il s'en va chevaucher ainsi pendant des heures, incapable de reprendre ses esprits. Après deux cents jours de résistance, le maître d’Antioche s'est effondré. Tout en lui reprochant sa faiblesse, Ibn al-Athir évoquera sa fin avec émotion.
Il se mit à pleurer pour avoir abandonné sa famille, ses fils et les musulmans et, de douleur, il tomba de cheval sans connaissance. Ses compagnons essayèrent de le remettre en selle, mais il ne tenait plus
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