Les croisades vues par les arabes
lendemain de son arrivée, Karbouka le convoque pour lui signifier que le commandement de la citadelle lui est retiré. Chams s'indigne. Ne s'est-il pas battu c0mme un brave? N 'a-t-il pas tenu tête à tous es chevaliers francs? N'est-il pas l'héritier du maître d'Antioche? L'atabek refuse toute discussion. C'est lui le chef, et il exige qu'on lui obéisse.
Le fils de Yaghi Siyan est maintenant convaincu que l'armée musulmane, malgré sa dimension imposante, est incapable de vaincre. Sa seule consolation est de savoir que la situation dans le camp ennemi n'est guère meilleure. Selon Ibn al-Athir, « après avoir conquis Antioche, les Franj sont restés douze jours sans rien manger. Les nobles se nourrissaient de leurs montures et les pauvres de charognes et de feuilles ». Les Franj ont connu d'autres famines ces derniers mois, mais ils se savaient alors libres d'aller razzier les environs pour rapporter quelques provisions. Leur nouvelle condition d'assiégés le leur interdit. Et les réserves de Yaghi Siyan, sur lesquelles ils comptaient, sont pratiquement épuisées. Les désertions reprennent de plus belle.
Entre ces deux armées épuisées, démoralisées, qui s'affrontent en juin 1098 autour d'Antioche, le ciel ne semblait savoir vers laquelle pencher, lorsqu'un événement extraordinaire vint forcer la décision. Les Occidentaux crieront au miracle, mais le récit qu'en fera Ibn al-Athir ne laisse aucune place au merveilleux.
Parmi les Franj il y avait Bohémond, leur chef à tous, mais il y avait aussi un moine extrêmement rusé qui leur assura qu'une lance du Messie, paix soit sur Lui, était enterrée dans le Koussyan, un grand édifice d’Antioche. Il leur dit : « Si vous la trouvez, vous vaincrez; sinon. c'est la mort certaine. ».Auparavant, il avait enterré une lance dans le sol du Koussyan et effacé toutes les traces. Il leur ordonna de jeûner et de faire pénitence pendant trois jours; le quatrième, il les fit entrer dans l'édifice avec leurs valets et leurs ouvriers, qui creusèrent partout et trouvèrent la lance. Alors le moine s'écria : « Réjouissez-vous, car la victoire est ,certaine! » Le cinquième jour, ils sortirent par la porte de la ville en petits groupes de cinq ou six. Les musulmans dirent à Karbouka : « Nous devrions nous mettre près de la porte et abattre tous ceux qui sortent. C'est facile puisqu'ils sont dispersés! » Mais il répondit : « Non! Attendez qu'ils soient tous dehors et nous les tuerons jusqu'au dernier! »
Le calcul de l'atabek est moins absurde qu'il n'en a l'air. Avec des troupes aussi indisciplinées, avec des émirs qui attendent la première occasion pour déserter, il ne peut prolonger le siège. Si les Franj veulent engager la bataille, il ne faut pas les effrayer par une attaque trop massive, au risque de les voir réintégrer la cité. Ce que Karbouka n'a pas prévu, c'est que sa décision de temporiser va être immédiatement exploitée par ceux qui cherchent sa perte. Pendant que les Franj poursuivent leur déploiement, les désertions commencent dans le camp musulman. On s'accuse de lâcheté et de trahison. Sentant que le contrôle de ses troupes lui échappe et qu'il a sans doute sous-estimé les effectifs des assiégés, Karbouka sollicite de ces derniers une trêve. C'est achever de se déconsidérer aux yeux des siens et ne faire que renforcer l'assurance de ses ennemis : les Franj chargent sans même répondre à son offre, le forçant à son tour à lâcher sur eux une vague de cavaliers-archers. Mais déjà Doukak et la plupart des émirs s'éloignent tranquillement avec leurs troupes. Se voyant de plus en plus isolé, l'atabek ordonne une retraite générale qui dégénère immédiatement en déroute.
La puissante armée musulmane s'est ainsi désintégrée « sans avoir donné un coup d'épée ou de lance, ni tiré une flèche ». L'historien de Mossoul exagère à peine. « Les Franj eux-mêmes craignaient une ruse, car il n'y avait pas encore eu de combat qui justifie une telle fuite. Aussi préférèrent-ils renoncer à poursuivre les musulmans! » Karbouka peut ainsi regagner Mossoul sain et sauf avec les lambeaux de ses troupes. Toutes ses ambitions se sont à jamais dissipées devant Antioche, la ville qu'il s'était juré de sauver est maintenant solidement tenue par les Franj. Et pour fort longtemps.
Mais le plus grave après cette joumée de la honte, c'est qu'il n'y a plus en Syrie aucune force capable
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