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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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debout. Il était mourant. Ils le laissèrent donc et s'éloignèrent. Un bûcheron arménien qui passait par là le reconnut. Il lui coupa la tête et la porta aux Franj à Antioche.
    La ville elle-même est à feu et à sang. Hommes, femmes et enfants tentent de s'enfuir à travers les ruelles boueuses, mais les chevaliers les rattrapent sans peine et les égorgent sur place. Peu à peu, les cris d'horreur des derniers survivants s'étouffent, bientôt remplacés par les voix fausses de quelques pillards francs déjà ivres. La fumée monte des nombreuses maisons incendiées. A midi, un voile de deuil enveloppe la ville.
    Au milieu de cette folie sanguinaire du 3 juin 1098, un seul homme a su garder la tête froide. C'est l'infatigable Chams ad-Dawla. Aussitôt la cité envahie, le fils de Yaghi Siyan s'est barricadé avec un groupe de combattants dans la citadelle. Les Franj tentent à plusieurs reprises de l'en déloger, mais ils sont chaque fois repoussés, non sans avoir subi de lourdes pertes. Le plus grand des chefs francs, Bohémond, un géant aux longs cheveux blonds, est lui-même blessé au cours de l'une de ces attaques. Instruit par sa mésaventure, il envoie un message à Chams pour lui proposer de quitter la citadelle en échange d'un sauf-conduit. Mais le jeune émir refuse avec hauteur. Antioche est le fief dont il a toujours pensé hériter un jour : il se battra jusqu'à son dernier souffle. Ni les provisions ni les flèches acérées ne lui font défaut. Trônant majestueusement au sommet du mont Habib-an-Naj jar, la citadelle peut défier les Franj pendant des mois. Ceux-ci perdraient des milliers d'hommes s'ils s'obstinaient à en escalader les murailles.
    La détermination des derniers résistants s'avère payante. Les chevaliers renoncent à attaquer la citadelle, se contentant de l'entourer d'un cordon de sécurité. Et c'est par les hurlements de joie de Chams et de ses compagnons qu'ils apprennent, trois jours après la chute d'Antioche, que l'armée de Karbouka est à l'horizon. Pour Chams et sa poignée d'irréductibles, l'apparition des cavaliers de l'islam a quelque chose d’irréel. Ils se frottent les yeux. ils pleurent, ils prient, ils s'embrassent. Les cris d’ « Allahou Akbar! » (« Dieu est grand! ») parviennent à la citadelle en un grondement ininterrompu. Les Franj se terrent derrière les murs d'Antioche. D'assiégeants, ils sont devenus des assiéges.
    Chams est heureux, mais sur un fond d'amertume. Dès que les premiers émirs de l'expédition de secours l'ont rejoint dans son réduit, il les harcèle de mille questions. Pourquoi venir si tard? Pourquoi avoir laissé aux Franj le temps d'occuper Antioche et de massacrer ses habitants? A son grand étonnement, tous ses interlocuteurs, loin de justifier l'attitude de leur armée, accusent Karbouka de tous les maux; Karbouka l'arrogant, le prétentieux, l'incapable, le lâche.
    Il ne s'agit pas seulement d'antipathies personnelles, mais d'une véritable conspiration dont l'instigateur n'est autre que le roi Doukak, de Damas, qui a rejoint les troupes de Mossoul dès leur entrée en Syrie. L'armée musulmane n'est décidément pas une force homogène, mais une coalition de princes aux intérêts souvent contradictoires. Les ambitions territoriales de l'atabek ne sont un secret pour personne, et Doukak n'a eu aucune difficulté à convaincre ses pairs que leur véritable ennemi est Karbouka lui-même. S'il sort victorieux de la bataille contre les infidèles, il s'érigera en sauveur et aucune ville de Syrie ne pourra alors échapper à son autorité. Si, en revanche, Karbouka est battu, le danger qui pèse sur les villes syriennes sera écarté. Face à cette menace, le péril franc est un moindre mal. Que les Roum veuillent, avec l'aide de leurs mercenaires, reprendre leur ville d'Antioche, il n'y a là rien de dramatique, à partir du moment où il reste impensable que les Franj créent leurs propres Etats en Syrie.Comme le dira Ibn al-Athir, « l'atabek indisposa tellement les musulmans par sa prétention qu'ils décidèrent de le trahir au moment le plus décisif de la bataille ».
    Cette superbe armée n'est donc qu'un colosse aux pieds d'argile, prêt à s'écrouler à la première chiquenaude! Prêt à oublier qu'on a décidé l'abandon d'Antioche, Chams tente encore de triompher de toutes ces mesquineries. L'heure, lui semble-t-il, n'est pas aux règlements de comptes. Ses espoirs seront de courte durée. Dès le

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