Les croisades vues par les arabes
d'enrayer l'avance des envahisseurs.
CHAPITRE III
LES CANNIBALES DE MAARA
Je ne sais pas si c'est un pâturage de bêtes sauvages ou ma maison, ma demeure natale!
Ce cri d’affliction d'un poète anonyme de Maara n'est pas une simple figure de style. Nous sommes malheureusement tenus de prendre ses mots au pied de la lettre et de nous demander avec lui : que s'est-il donc passé de si monstrueux dans la ville syrienne de Maara en cette fin d'année 1098?
Jusqu'à l'arrivée des Franj, les habitants vivaient paisiblement à l'abri de leur muraille circulaire. Leurs vignobles, comme leurs champs d'oliviers et de figuiers, leur procuraient une modeste prospérité. Quant aux affaires de leur cité, elles étaient gérées par de braves notables locaux sans grande ambition, sous la suzeraineté nominale de Redwan d'Alep. La fierté de Maara, c'était d'être la patrie de l'une des plus grandes figures de la littérature arabe, Aboul-Ala al-Maari, mort en 1057. Ce poète aveugle, libre penseur, avait osé s'en prendre aux mœurs de son époque, sans égard pour les interdits. Il fallait de l'audace pour écrire :
Les habitants de la terre se divisent en deux,
Ceux qui ont un cerveau, mais pas de religion,
Et ceux qui ont une religion, mais pas de cerveau.
Quarante ans après sa mort, un fanatisme venu de loin allait donner apparemment raison au fils de Maara, tant pour son irréligion que pour son pessimisme légendaire :
Le destin nous démolit comme si nous étions de verre, Et nos débris ne se ressoudent plus jamais.
Sa ville sera, en effet, réduite à un amas de ruines, et cette méfiance que le poète avait si souvent exprimée à l'égard de ses semblables trouvera là sa plus cruelle illustration.
Dans les premiers mois de 1098, les habitants de Maara ont suivi avec inquiétude la bataille d’Antioche qui se déroulait à trois jours de marche au nord-ouest de chez eux. Puis, après leur victoire, les Franj sont venus razzier quelques villages voisins et Maara a été épargnée, mais certaines de ses familles ont préféré la quitter pour des lieux plus sûrs, Alep, Homs ou Hama. Leurs craintes s'avèrent justifiées lorsque, vers la fin de novembre, des milliers de guerriers francs viennent encercler la ville. Si quelques citadins parviennent encore à s'enfuir, la plupart sont pris au piège. Maara n'a pas d'armée, mais une simple milice urbaine que rejoignent rapidement quelques centaines de jeunes gens sans expérience militaire. Pendant deux semaines, ils résistent courageusement aux redoutables chevaliers, allant même jusqu'à jeter sur les assiégeants, du haut des murailles, des ruches remplies d'abeilles.
En les voyant si tenaces, racontera Ibn al-Athir, les Franj construisirent une tour de bois qui arrivait à la hauteur des remparts. Certains musulmans, saisis de frayeur et démoralisés, se dirent qu'ils pourraient mieux se défendre en se fortifiant dans les édifices les plus élevés de la ville. Ils quittèrent donc les murs, dégarnissant ainsi les postes qu'ils tenaient. D'autres suivirent leur exemple et un autre point de l'enceinte fut abandonné. Bientôt toute la muraille resta sans défenseurs. Les Franj grimpèrent avec des échelles et, quand les musulmans les virent au sommet de l'enceinte, ils perdirent courage.
Arrive le soir du 11 décembre. Il fait très sombre et les Franj n'osent pas encore pénétrer dans la cité. Les notables de Maara entrent en contact avec Bohémond, le nouveau maître d'Antioche, qui se trouve à la tête des assaillants. Le chef franc promet aux habitants la vie sauve s'ils cessent le combat et se retirent de certains bâtiments. S'accrochant désespérément à sa parole, les familles se regroupent dans les maisons et les caves de la ville et, toute la nuit, attendent en tremblant.
A l'aube, les Franj arrivent : c'est le carnage. Pendant trois jours, ils passèrent les gens au fil de l'épée, tuant plus de cent mille personnes et faisant beaucoup de prisonniers . Les chiffres d’Ibn al-Athir sont évidemment fantaisistes, car la population de la cité à la veille de sa chute était probablement inférieure à dix mille habitants. Mais l'horreur ici réside moins dans le nombre des victimes que dans le sort à peine imaginable qui leur a été réservé.
A Maara, les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans les marmites, ils fixaient les enfants sur des broches et les dévoraient grillés . Cet aveu du
Weitere Kostenlose Bücher