Les croisades vues par les arabes
chroniqueur franc Raoul de Caen, les habitants des localités proches de Maara ne le liront pas, mais jusqu'à la fin de leur vie ils se rappelleront ce qu'ils ont vu et entendu. Car le souvenir de ces atrocités, propagé par les poètes locaux ainsi que par la tradition orale, fixera dans les esprits une image des Franj difficile à effacer. Le chroniqueur Oussama Ibn Mounqidh, né trois ans avant ces événements dans la ville voisine de Chayzar, écrira un jour :
Tous ceux qui se sont renseignés sur les Franj ont vu en eux des bêtes qui ont la supériorité du courage et de l'ardeur au combat. mais aucune autre, de même que les animaux ont la supériorité de la force et de l'agression.
Un jugement sans complaisance qui résume bien l'impression produite par les Franj à leur arrivée en Syrie : un mélange de crainte et de mépris, bien compréhensible de la part d'une nation arabe très supérieure par la culture, mais qui a perdu toute combativité. Jamais les Turcs n'oublieront le cannibalisme des Occidentaux. A travers toute leur littérature épique, les Franj seront invariablement décrits comme des anthropophages.
Cette vision des Franj est-elle injuste? Les envahisseurs occidentaux ont-ils dévoré les habitants de la ville martyre dans le seul but de survivre? Leurs chefs l'affirmeront l'année suivante dans une lettre officielle au pape : Une terrible famine assaillit l'armée à Maara et la mit dans la cruelle nécessité de se nourrir des cadavres des Sarrasins . Mais cela semble bien vite dit. Car les habitants de la région de Maara assistent, durant ce sinistre hiver, à des comportements que la faim ne suffit pas à expliquer. Ils voient, en effet, des bandes de Franj fanatisés, les Tafurs, qui se répandent dans les campagnes en clamant tout haut qu'ils veulent croquer la chair des Sarrasins, et qui se rassemblent le soir autour du feu pour dévorer leurs proies. Cannibales par nécessité? Cannibales par fanatisme? Tout cela paraît irréel, et pourtant les témoignages sont accablants, aussi bien par les faits qu'ils décrivent que par l'atmosphère morbide qu'on y ressent. A cet égard, une phrase du chroniqueur franc Albert d’Aix, qui a participé personnellement à la bataille de Maara, reste inégalable dans l'horreur : Les nôtres ne répugnaient pas à manger non seulement les Turcs et les Sarrasins tués mais aussi les chiens!
Le supplice de la ville d'Aboul-Ala ne prendra fin que le 13 janvier 1099, lorsque des centaines de Franj armés de torches parcourront les ruelles, mettant le feu à chaque maison. Déjà, l'enceinte aura été démolie pierre par pierre.
L'épisode de Maara va contribuer à creuser entre les Arabes et les Franj un fossé que plusieurs siècles ne suffiront pas à combler. Dans l'immédiat, toutefois, les populations, paralysées par la terreur, ne résistent plus, à moins d'y être acculées. Et lorsque les envahisseurs, ne laissant derrière eux que des ruines fumantes, reprennent leur marche vers le sud, les émirs syriens s'empressent de leur envoyer des émissaires chargés de présents pour les assurer de leur bonne volonté, leur proposer toute l'aide dont ils auraient besoin.
Le premier est Soultan Ibn Mounqidh, oncle du chroniqueur Oussama, qui règne sur le petit émirat de Chayzar. Les Franj atteignent son territoire le lendemain même de leur départ de Maara. Ils ont à leur tête Saint-Gilles, l'un de leurs chefs les plus souvent cités par les chroniques arabes. L'émir lui ayant dépêché une ambassade, un accord est rapidement conclu : non seulement Soultan s'engage à approvisionner les Franj, mais il les autorise à venir acheter des chevaux au marché de Chayzar et il leur fournira des guides pour leur permettre de traverser sans encombre le reste de la Syrie.
La région n'ignore plus rien de la progression des Franj, on connaît désormais leur itinéraire. Ne clament-ils pas tout haut que leur objectif ultime est Jérusalem, où ils veulent prendre possession du tombeau de Jésus ? Tous ceux qui se trouvent sur la route de la ville sainte tentent de se prémunir contre le fléau qu'ils représentent. Les plus pauvres se cachent dans les bois avoisinants, pourtant hantés par les fauves, lions, loups, ours et hyènes. Ceux qui en ont les moyens émigrent vers l'intérieur du pays. D'autres se réfugient dans la forteresse la plus proche. C'est cette dernière solution qu'ont choisie les paysans de la riche plaine de la Boukaya
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