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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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qui se réclament du califat abbasside de Baghdad, et les chiites, qui se reconnaissent dans le califat fatimide du Caire. Le schisme, qui date du vii° siècle et d'un conflit au sein de la famille du Prophète, n'a jamais cessé de provoquer des luttes acharnées chez les musulmans. Même pour les hommes d’Etat comme Saladin, la lutte contre les chiites semblera au moins aussi importante que la guerre contre les Franj. Les « hérétiques » sont régulièrement accusés de tous les maux qui frappent l'islam, et il n'est pas étonnant que l'invasion franque soit elle-même attribuée à leurs manigances. Cela dit, si l'appel des Fatimides aux Franj est purement imaginaire, la joie des dirigeants du Caire à l'arrivée des guerriers occidentaux est réelle. 
    A la chute de Nicée, le vizir al-Afdal a chaleureusement félicité le basileus, et trois mois avant que les envahisseurs ne s'emparent d'Antioche, une délégation égyptienne chargée de présents a visité le camp des Franj pour leur souhaiter une victoire prochaine et leur proposer une alliance. Militaire d'origine arménienne, le maître du Caire n'a aucune sympathie pour les Turcs, et ses sentiments personnels rejoignent en cela les intérêts de l'Egypte. Depuis le milieu du siècle, les progrès des Seldjoukides ont rogné le territoire du califat fatimide en même temps que celui de l'empire byzantin. Pendant que les Roum voyaient Antioche et l'Asie Mineure échapper à leur contrôle, les Egyptiens perdaient Damas et Jérusalem qui leur avaient appartenu pendant un siècle. Entre Le Caire et Constantinople, ainsi qu'entre al-Afdal et Alexis, une solide amitié s'est établie. On se consulte régulièrement, on échange des renseignements, on élabore des projets communs. Peu avant l'arrivée des Franj, les deux hommes ont constaté avec satisfaction que l'empire seldjoukide était miné par des querelles internes. Aussi bien en Asie Mineure qu'en Syrie, de nombreux petits Etats rivaux se sont installés. L'heure de la revanche contre les Turcs aurait-elle sonné? N'est-ce pas le moment pour les Egyptiens comme pour les Roum de récupérer leurs possessions perdues? Al-Afdal rêve d'une opération concertée des deux puissances alliées, et lorsqu'il apprend que le basileus a reçu des pays des Franj un grand renfort de troupes il sent la revanche à portée de main.
    La délégation qu'il a envoyée aux assiégeants d'Antioche ne parlait pas de traité de non-agression. Pour le vizir, cela allait de soi. Ce qu'il proposait aux Franj, c'était un partage en bonne et due forme : à eux la Syrie du Nord, à lui la Syrie du Sud, c'est-à-dire la Palestine, Damas et les villes de la côte jusqu'à Beyrouth. Il tenait à présenter son offre le plus tôt possi- ble, à un moment ou les Franj n'étaient pas sûrs encore de prendre Antioche. Sa conviction était qu'ils allaient s'empresser d'accepter.
    Curieusement, leur réponse avait été évasive. Ils demandaient des explications, des précisions, notamment sur le sort futur de Jérusalem. Ils se montraient amicaux, certes, à l'égard des diplomates égyptiens, allant même jusqu'à leur offrir en spectacle les têtes coupées de trois cents Turcs tués près d’Antioche. Mais ils refusaient de conclure quelque accord. Al-Afdal ne comprend pas. Sa proposition n'était-elle pas réaliste, et même généreuse? Les Roum et leurs auxiliaires francs auraient-ils sérieusement l'intention de s'emparer de Jérusalem comme ses envoyés en avaient eu l'impression ? Alexis lui aurait-il menti?
    L'homme fort du Caire hésitait encore sur la politique à suivre, lorsqu'en juin 1098 la nouvelle de la chute d'Antioche lui parvint, suivie, à moins de trois semaines d'intervalle, de celle de la défaite humiliante de Karbouka. Le vizir est alors décidé à agir immédiatement pour prendre de vitesse adversaires et alliés. En juillet , rapporte Ibn al-Qalanissi, on annonça que le généralissime, émir des armées, al-Afdal avait quitté l'Egypte à la tête d'une armée nombreuse et avait mis le siège devant Jérusalem, où se trouvaient les émirs Sokman et Ilghazi, fils d'Ortok . Il attaqua la ville et mit en batterie des mangonneaux. Les deux frères turcs qui dirigeaient Jérusalem venaient tout juste d'arriver du nord, où ils avaient participé à la malheureuse expédition de Karbouka. Au bout de quarante jours de siège, la ville avait capitulé. Al-Afdal traita généreusement les deux émirs et les

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