Les croisades vues par les arabes
est entourée de champs d'oliviers, de caroubiers, de canne à sucre, de fruits de toutes sortes aux récoltes abondantes. Son port connaît un trafic animé.
C'est précisément cette opulence qui va valoir à la cité ses premiers ennuis avec les envahisseurs. Dans le message qu'il fait parvenir à Hosn-el-Akrad, Jalal el-Moulk invite Saint-Gilles à envoyer une délégation à Tripoli pour négocier une alliance. Erreur impardonnable. Les émissaires francs sont en effet si émerveillés par les jardins, les palais, le port et le souk des orfèvres qu'ils n'écoutent plus les propositions du cadi. Déjà ils songent à tout ce qu'ils pourraient piller s'ils s'emparaient de la ville. Et il semble bien qu'en revenant chez leur chef ils aient tout fait pour attiser sa convoitise. Jalal el-Moulk, qui attend naïvement la réponse de Saint-Gilles à son offre d'alliance, n'est pas peu surpris d'apprendre que les Franj ont mis le siège, le 14 février, devant Arqa, seconde ville de la principauté de Tripoli. Déçu, il l'est, mais surtout terrifié, convaincu que l'opération menée par les envahisseurs n'est qu'un premier pas vers la conquête de sa capitale. Comment s'empêcher alors de songer au sort d'Antioche ? Jalal el-Moulk se voit déjà à la place du malheureux Yaghi Siyan, chevauchant honteusement vers la mort ou vers l'oubli. A Tripoli, on accumule des réserves en prévision d'un long siège. Les habitants se demandent avec angoisse combien de temps les envahisseurs seront retenus devant Arqa. Chaque jour qui passe est un sursis inespéré.
Février s'écoule, puis mars et avril. Comme tous les ans, les senteurs des vergers fleuris enveloppent Tripoli. Il y fait d'autant plus beau que les nouvelles sont réconfortantes : les Franj n'ont toujours pas réussi à prendre Arqa dont les défenseurs ne sont pas moins étonnés que les assiégeants. Il est vrai que les remparts sont solides, mais pas plus que ceux d'autres villes, plus importantes, dont les Franj ont pu s'emparer. Ce qui fait la force d'Arqa c'est que ses habitants ont été convaincus, dès le premier instant de la bataille, que, si une seule brèche était ouverte, ils seraient tous égorgés comme l'avaient été leurs frères de Maara ou d'Antioche. Jour et nuit ils veillent, repoussant toutes les attaques, empêchant la moindre infiltration. Les envahisseurs finissent par se lasser. Les bruits de leurs disputes arrivent jusqu'à la ville assiégée. Le 13 mai 1099, ils lèvent enfin leur camp et s'éloignent la tête basse. Après trois mois de lutte épuisante, la ténacité des résistants a été récompensée.
Arqa exulte. Les Franj ont repris leur marche vers le sud. Ils passent devant Tripoli avec une lenteur inquiétante. Jalal el-Moulk, qui les sait irrités, s'empresse de leur transmettre ses meilleurs vœux pour la continuation de leur voyage. Il prend soin d'y joindre des vivres, de l'or, quelques chevaux ainsi que des guides qui leur feront traverser l'étroite route côtière menant jusqu'à Beyrouth. Aux éclaireurs tripolitains s'ajoutent bientôt des chrétiens maronites de la montagne libanaise qui, à l'instar des émirs musulmans, viennent proposer leur concours aux guerriers occidentaux.
Sans plus s'en prendre aux possessions des Banou Ammar, tel Jbeil, l'antique Byblos, les envahisseurs atteignent Nahr-el-Kalb, le « Fleuve du chien ». En le franchissant, ils se mettent en état de guerre avec le califat fatimide d'Egypte.
L'homme fort du Caire, le puissant et corpulent vizir al-Afdal Chahinchah, n'avait pas caché sa satisfaction lorsque les émissaires d’Alexis Comnène étaient venus lui annoncer, en avril 1097, l'arrivée massive des chevaliers francs à Constantinople et le début de leur offensive en Asie Mineure. Al-Afdal, « le Meilleur », un ancien esclave de trente-cinq ans qui dirige sans partage une nation égyptienne de sept millions d'habitants, avait transmis à l'empereur ses vœux de succès et demandé à être informé, en tant qu'ami, des progrès de l'expédition.
Certains disent que, lorsque les maîtres de l'Egypte virent l'expansion de l'empire seldjoukide, ils furent pris de peur et demandèrent aux Franj de marcher sur la Syrie et d'établir un tampon entre eux et les musulmans. Dieu seul connaît la vérité.
Cette singulière explication émise par Ibn al-Athir sur l'origine de l'invasion franque en dit long sur la division qui règne au sein du monde islamique entre les sunnites,
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