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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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ad-Dawla, « Fierté de l’Etat », commandant de la garnison égyptienne, les observe avec sérénité du haut de la tour de David. Depuis plusieurs mois, il a pris toutes les dispositions nécessaires pour soutenir un long siège. Il a réparé un pan de muraille endommagé au cours de l'assaut d'al-Afdal contre les Turcs, l'été précédent. Il a rassemblé d'énormes provisions pour éviter tout risque de pénurie, en attendant qu'arrive le vizir qui a promis de venir avant la fin de juillet pour dégager la ville. Pour plus de prudence il a suivi l'exemple de Yaghi Siyan et expulsé les habitants chrétiens susceptibles de collaborer avec leurs coreligionnaires francs. Ces derniers jours, il a même fait empoisonner les sources et les puits des environs pour empêcher l'ennemi de les utiliser. Sous le soleil de juin, dans ce paysage montagneux, aride, parsemé çà et là de quelques oliviers, la vie des assiégeants ne sera pas facile.
    Pour Iftikhar, le combat semble donc s'engager dans de bonnes conditions. Avec ses cavaliers arabes et ses archers soudanais, solidement retranchés dans ces fortifications épaisses qui escaladent les collines et s'enfoncent dans les ravins, il se sent capable de tenir. Il est vrai que les chevaliers d’Occident sont réputés pour leur bravoure, mais leur comportement sous les murs de Jérusalem est quelque peu déconcertant aux yeux d'un militaire expérimenté. Iftikhar s'attendait à les voir construire, dès leur arrivée, des tours mobiles et divers instruments de siège, creuser des tranchées pour se préserver contre les sorties de la garnison. Or, loin de se livrer à ces aménagements, ils ont commencé par organiser une procession autour des murs, conduite par des prêtres qui prient et chantent à tue-tête, avant de se lancer comme des enragés à l'assaut des remparts sans disposer de la moindre échelle. Al-Afdal a beau lui avoir expliqué que ces Franj voulaient s'emparer de la ville pour des raisons religieuses, un fanatisme aussi aveuglant le surprend. Lui-même est un musulman croyant, mais, s'il se bat en Palestine, c'est pour défendre les intérêts de l'Egypte, et puis, pourquoi le nier, pour promouvoir sa propre carrière militaire.
    Il le sait, cette cité n'est pas comme les autres, Iftikhar l'a toujours appelée par son nom courant, Iliya, mais les ulémas, les docteurs de la loi, la surnomment al-Quds, Beit-el-Maqdess ou al-Beit al-Mouqaddas, « le lieu de la sainteté ». Ils disent que c'est la troisième ville sainte de l'islam après La Mecque et Médine, car c'est ici que Dieu a conduit le Prophète, au cours d'une nuit miraculeuse, pour lui faire rencontrer Moïse et Jésus, fils de Marie. Depuis, al-Quds est, pour tout musulman, le symbole de la continuité du message divin. Beaucoup de dévots viennent se recueillir dans la mosquée al-Aqsa, sous l'immense coupole scintillante qui domine majestueusement les maisons carrées de la ville.
    Même si le ciel est présent ici à chaque coin de rue, Iftikhar a, quant à lui, les pieds bien sur terre. Les techniques militaires, estime-t-il, sont les mêmes, quelle que soit la ville. Ces processions chantantes des Franj l’agacent, mais elles ne l'inquiètent pas. Ce n'est qu'au bout de la deuxième semaine de siège qu'il commence à sentir naître l'inquiétude, quand l'ennemi s'attelle avec ardeur à la construction de deux immen- ses tours en bois. Début juillet, elles sont déjà debout, prêtes à transporter des centaines de combattants jusqu'au sommet des remparts. Leurs silhouettes s'élèvent menaçantes au milieu du camp adverse.
    Les consignes d'Iftikhar sont strictes : si l'un de ces engins fait le moindre mouvement en direction des murs, il faut l'inonder d'une pluie de flèches. Si ensuite la tour parvient à se rapprocher, il faut utiliser le feu grégeois, un mélange de pétrole et de soufre qu'on verse dans des cruches et qu'on lance, allumé, sur les assaillants. En se répandant, le liquide provoque des incendies difficiles à éteindre. Cette arme redoutable va permettre aux soldats d'Iftikhar de repousser plusieurs attaques successives au cours de la deuxième semaine de juillet, bien que, pour se prémunir des flammes, les assiégeants aient tapissé les tours mobiles de peaux de bêtes fraîchement écorchées et imbibées de vinaigre. Pendant ce temps, des rumeurs circulent annonçant l'arrivée imminente d'al-Afdal. Les assiégeants, qui craignent d'être pris entre

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