Les croisades vues par les arabes
détruits.
Mais deux villes sont plus touchées que les autres par le cataclysme : ce sont Hama et Chayzar. On raconte qu'un instituteur de Hama, sorti de sa classe pour satisfaire un besoin pressant dans un terrain vague, trouva à son retour son école détruite et tous ses élèves morts. Atterré, il s'était assis sur les décombres, se demandant de quelle manière il devait annoncer la nouvelle aux parents, mais aucun d'eux n'avait survécu pour venir réclamer son enfant.
A Chayzar. ce même jour, le souverain de la cité, l'émir Mohammed Ibn Soultan, cousin d'Oussama, organise une réception dans la Citadelle pour fêter la circoncision de son fils. Tous les dignitaires de la ville s'y trouvent rassemblés ainsi que les membres de la famille régnante, quand soudain la terre se met à trembler, les murs s'écroulent, décimant toute l'assistance. L'émirat des Mounqidhites a tout simplement cessé d'exister. Oussama, qui se trouve alors à Damas, est l'un des rares membres de sa famille à survivre. Il écrira, sous le coup de l'émotion : La mort ne s'est pas avancée pas à pas pour tuer les gens de ma race, pour les anéantir deux à deux ou chacun séparément. Ils sont tous morts en un clin d'œil, et leurs palais sont devenus leurs tombeaux . Avant d'ajouter, désabusé: Les tremblements de terre n'ont frappé ce pays d'indifférents que pour le tirer de sa torpeur .
Le drame des Mounqidhites inspirera en effet aux contemporains bien des réflexions sur la futilité des choses humaines, mais le cataclysme sera aussi, plus prosaïquement, l'occasion pour certains de conquérir ou de piller sans peine quelque ville désolée ou quelque forteresse aux muis écroulés. Chayzar, en particulier, est immédiatement attaquée aussi bien par les Assassins que par les Franj, avant d'être prise par l'armée d'Alep.
En octobre 1157, alors qu'il passe de ville en ville pour superviser la réparation des murailles, Noureddin tombe malade. Le médecin damascain Ibn al-Waqqar, qui le suit dans tous ses déplacements, se montre pessimiste. Pendant un an et demi, le prince demeure entre la vie et la mort, ce dont les Franj vont profiter pour occuper quelques forteresses et razzier les environs de Damas. Mais Noureddin met à profit ce temps d'inaction pour réfléchir à son destin. Il a réussi, durant la première partie de son règne, à réunir la Syrie musulmane sous son égide et à mettre un terme aux luttes intestines qui l'affaiblissaient. Désormais, il faudra mener le jihad pour reconquérir les grandes villes occupées par les Franj. Certains de ses proches, notamment les Alépins, lui suggèrent de commencer par Antioche mais, à leur grande surprise, Noureddin s'y oppose. Cette ville, leur explique-t-il, appartient historiquement aux Roum. Toute tentative de s'en emparer inciterait l'empire à venir s'occuper directement des affaires syriennes, ce qui obligerait les armées musulmanes à se battre sur deux fronts. Non, insiste-t-il, il ne faut pas provoquer les Roum, mais tenter plutôt de récupérer une importante cité de la côte, ou même, si Dieu le permet, Jérusalem.
Hélas pour Noureddin, les événements vont très vite justifier ses craintes. En 1159, alors qu'il commence à peine à se rétablir, il apprend qu'une puissante armée byzantine, commandée par l'empereur Manuel, fils et successeur de Jean Còmnène, s'est rassemblée au nord de la Syrie. Noureddin s'empresse d'envoyer des ambassadeurs au-devant de l'empereur pour lui souhaiter courtoisement. la bienvenue. En les recevant, le basileus, homme majestueux, sage, passionné de médecine, proclame son intention de maintenir avec leur maître les rapports les plus amicaux possible. S'il est venu en Syrie, assure-t-il, c'est uniquement pour infliger une leçon aux maîtres d'Antioche. On se souvient que le père de Manuel était venu, arguant des mêmes raisons, vingt-deux ans plus tôt, ce qui ne l'avait pas empêché de s'allier aux Occidentaux contre les musulmans. Et pourtant les émissaires de Noureddin ne mettent pas en doute la parole du basileus. Ils savent quelle rage éprouvent les Roum à chaque fois qu'est mentionné le nom de Renaud de Châtillon, ce chevalier qui, depuis 1153, préside aux destinées de la principauté d'Antioche, un homme brutal, arrogant, cynique et méprisant, qui symbolisera un jour pour les Arabes toute la malfaisance des Franj et que Saladin jurera de tuer de ses propres mains!
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