Les croisades vues par les arabes
Damas. Le prix d'un sac de blé est passé en deux jours d'un demi-dinar à vingt-cinq dinars, et la population commence à craindre la famine. Reste aux agents du maître d'Alep à convaincre l'opinion qu'il n'y aurait aucune pénurie si Abaq n'avait pas choisi de s'allier aux Franj contre ses coreligionnaires d'Alep.
Le 18 avril 1154, Noureddin revient avec ses troupes devant Damas. Abaq envoie, une fois de plus, un message urgent à Baudouin. Mais le roi de Jérusalem n'aura pas le temps d'arriver. Le dimanche 25 avril, l'assaut final est donné à l'est de la ville.
Il n'y avait personne sur les murs, raconte le chroniqueur de Damas, ni soldats ni citadins, à l'exception d'une poignée de Turcs préposés a la garde d'une tour. L'un des soldats de Noureddin se précipita vers un rempart au sommet duquel se trouvait une femme juive qui lui lança une corde. Il s'en servit pour grimper, parvint au sommet du rempart sans que personne s'en aperçût et fut suivi par certains de ses camarades qui hissèrent un drapeau, le plantèrent sur le mur ct se mirent à crier :'« Ya mansour! O victorieux! » Les troupes de Damas et la population renoncèrent à toute résistance à cause de la sympathie qu'ils eprouvaient pour Noureddin, sa justice et sa bonne réputation. Un sapeur courut à la porte de l'Est, bab-Charki, avec sa pioche et brisa la fermeture. Les soldats y pénétrèrent et se répandirent dans les principales artères sans rencontrer d'opposition. La porte de Thomas, bab-Touma, fut également ouverte aux troupes. Enfin, le roi Noureddin fit son entrée, accompagné de sa suite, à la grande joie des habitants et des soldats, qui étaient tous obsédés par la peur de la famine ainsi que par la crainte d'être assiégés par les Franj infidèles.
Généreux dans sa victoire, Noureddin offre à Abaq et à ses proches des fiefs dans la région de Homs et les laisse s'enfuir avec tous leurs biens.
Sans combat, sans effusion de sang. Noureddin a conquis Damas par la persuasion plus que par les armes. La cité qui depuis un quart de siècle avait farouchement résisté à tous ceux qui tentaient de l'assujettir, qu'il s'agisse des Assassins, des Franj ou de Zinki, s'était laissé séduire par la douce fermeté d'un prince qui promettait à la fois d'assurer sa sécurité et de respecter son indépendance. Elle ne le regrettera pas et vivra, grâce à lui, et à ses successeurs, l'une des périodes les plus glorieuses de son histoire.
Au lendemain de sa victoire, Noureddin, rassemblant ulémas, cadis et commerçants, leur tient des propos rassurants, non sans se faire amener d'importants stocks de vivres et supprimer quelques taxes affectant la halle aux fruits, le souk des légumes ainsi que la distribution de l'eau. Un décret est rédigé en ce sens et lu le vendredi suivant, du haut de la chaire, après la prière. A quatre-vingt-un ans, Ibn al-Qalanissi est toujours là pour s'associer à la joie de ses concitoyens. La population applaudit, relate-t-il. Les citadins, les paysans, les femmes, les gagne-petit, tout le monde adressa publiquement des prières à Dieu pour que se prolongent les jours de Noureddin et que ses bannières soient toujours victorieuses .
Pour la première fois depuis le début des guerres franques, les deux grandes métropoles syriennes, Alep et Damas, sont réunies au sein d'un même Etat, sous l'autorité d'un prince de trente-sept ans, fermement décidé à se consacrer à la lutte contre l'occupant. En fait, c'est toute la Syrie musulmane qui se trouve désormais unifiée, à l'exception du petit émirat de Chayzar où la dynastie des Mounqidhites parvient encore à préserver son autonomie. Mais pas pour longtemps, puisque l'histoire de ce petit Etat est destinée à s'interrompre de la manière la plus brusque et la plus imprévue qui soit.
En août 1157, alors que des rumeurs circulent à Damas, laissant présager une prochaine campagne de Noureddin contre Jérusalem, un tremblement de terre d'une rare violence dévaste la Syrie tout entière, semant la mort chez les Arabes comme chez les Franj. A Alep, plusieurs tours de la muraille s'écroulent, et la population, terrorisée, se disperse dans la campagne avoisinante. A Harran, la terre se fend et à travers l'immense brèche ainsi ouverte les vestiges d'une cité ancienne réapparaissent en surface. A Tripoli, à Beyrouth, à Tyr, à Homs, à Maara, on ne compte plus les morts ni les bâtiments
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