Les croisades vues par les arabes
duplicité. Il n'a pas entièrement tort. Youssef, qui ne veut pas jouer les usurpateurs, se présente, en effet, comme le protecteur d'as-Saleh. « De toute manière, dit-il, cet adolescent ne peut pas gouverner seul. Il lui faut un tuteur, un régent, et nul n'est mieux placé que moi pour exercer ce rôle. » Il envoie d'ailleurs lettre sur lettre à as-Saleh pour l'assurer de sa fidélité, fait prier pour lui dans les mosquées du Caire et de Damas, frappe la nionnaie à son nom.
Le jeune monarque est totalement insensible à ces gestes. Lorsque Saladin vient assiéger Alep même en décembre 1174, « pour protéger le roi as-Saleh de l'influence néfaste de ses conseillers », le fils de Noureddin rassemble les gens de la cité et leur tient un discours émouvant : « Regardez cet homme injuste et ingrat qui veut me prendre mon pays sans égard pour Dieu ni pour les hommes ! Je suis orphelin et je compte sur vous pour me défendre en souvenir de mon père qui vous a tant aimés. » Profondément touchés, les Alépins décident de résister jusqu'au bout au « félon ». Youssef, qui cherche à éviter un conflit direct avec as-Saleh, lève le siège. En revanche, il décide de se proclamer « roi d'Egypte et de Syrie » pour ne plus dépendre d'aucun suzerain. Les chroniqueurs lui conféreront, en outre, le titre de sultan, mais lui-même ne s'en parera jamais. Saladin reviendra plus d'une fois encore sous les murs d'Alep, mais sans jamais se résoudre à croiser le fer avec le fils de Noureddin.
Pour tenter d'écarter cette menace permanente, les conseillers d'as-Saleh décident de recourir aux services des Assassins. Ils entrent en contact avec Rachideddin Sinan, qui promet de les débarrasser de Youssef. Le « vieux de la montagne » ne demande pas mieux que de régler son compte au fossoyeur de la dynastie fatimide. Un premier attentat a lieu début 1175 : des Assassins pénètrent dans le camp de Saladin, parviennent jusqu'à sa tente, où un émir les reconnaît et leur barre la route. Il est grièvement blessé, mais l'alerte est donnée. Les gardes accourent et, après un combat acharné, les batinis sont massacrés. Ce n'est que partie remise. Le 22 mai 1176, alors que Saladin est à nouveau en campagne dans la région d'Alep, un Assassin fait irruption dans sa tente et lui assène un coup de poignard sur la tête. Fort heureusement, le sultan, qui est sur ses gardes depuis le dernier attentat, a pris la précaution de porter une coiffe de mailles sous son fez. Le tueur s'acharne alors sur le cou de sa victime. Mais là encore la lame est arrêtée. Saladin porte en effet une longue tunique d'étoffe épaisse dont le haut col est renforcé de mailles. Un des émirs de l'armée arrive alors, saisit le poignard avec une main et de l'autre frappe le batini qui s'écroule. Saladin n'a même pas eu le temps de se relever qu'un deuxième tueur bondit sur lui, puis un troisième. Mais les gardes sont déjà là et les assaillants sont massacrés. Youssef sort de la tente hagard, titubant, ahuri d'être encore indemne.
Dès qu'il a repris ses esprits, il décide d'aller attaquer les Assassins dans leur repaire, en Syrie centrale, où Sinan contrôle une dizaine de forteresses. C'est la plus redoutable d'entre elles, Massiaf, perchée au sommet d'un mont escarpé, que Saladin vient assiéger. Mais ce qui se passe en ce mois d'août 1176 au pays des Assassins demeurera sans doute à jamais un mystère. Une première version, celle d'Ibn al-Athir, dit que Sinan aurait envoyé une lettre à l'oncle maternel de Saladin, jurant de faire tuer tous les membres de la famille régnante. Venant de la part de la secte, surtout après les deux tentatives d'assassinat dirigées contre le sultan, cette menace ne pouvait être prise à la légère. Le siège de Massiaf aurait alors été levé.
Mais une seconde version des événements nous vient des Assassins eux-mêmes. Elle est consignée dans l'un des rares écrits qui aient survécu à la secte, un récit signé par l'un de ses adeptes, un certain Abou-Firas. Selon lui, Sinan, qui était absent de Massiaf lorsque la forteresse fut assiégée, serait venu se poster avec deux compagnons sur une colline voisine pour observer le déroulement des opérations et Saladin aurait ordonné à ses hommes d'aller le capturer. Une troupe importante aurait encerclé Sinan, mais, lorsque les soldats auraient tenté de s'approcher de lui, leurs membres auraient été
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