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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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la dépenserait immédiatement. En dépit de cette précaution, il n'y avait dans le trésor de l'Etat à la mort du sultan qu'un lingot d'or de Tyr et quarante-sept dirhams d'argent.
    Quand certains de ses collaborateurs lui reprochent sa prodigalité, Saladin leur répond avec un sourire désinvolte : « Il est des gens pour qui l'argent n'a pas plus d'importance que le sable. » De fait, il a un mépris sincère pour la richesse et le luxe, et, lorsque les fabuleux palais des califes fatimides tombent en sa possession, il y installe ses émirs, préférant, quant a lui, demeurer dans la résidence, plus modeste, réservée aux vizirs. 
    Ce n'est qu'un des nombreux traits qui permettent de rapprocher l'image de Saladin de celle de Noureddin. Ses adversaires ne verront d'ailleurs en lui qu'un pâle imitateur de son maître. En réalité il sait se montrer dans ses contacts avec les autres, notamment avec ses soldats, beaucoup plus chaleureux que son prédécesseur. Et s'il observe à la lettre les préceptes de la religion, il n'a pas ce côté légèrement bigot qui caractérisait certains comportements du fils de Zinki. On pourrait dire que Saladin est, en général, aussi exigeant avec lui-même mais qu'il l'est moins avec les autres, et pourtant il se montrera plus impitoyable encore que son aîné à l'égard de ceux qui insultent l'islam, qu'il s'agisse des « hérétiques » ou de certains Franj. 
    Au-delà de ces différences de personnalité, Saladin reste fortement influencé, surtout à ses débuts, par l'impressionnante stature de Noureddin dont il cherche à se montrer le digne successeur, poursuivant sans relâche les mêmes objectifs que lui : unifier le monde arabe, mobiliser les musulmans, aussi bien moralement, grâce à un puissant appareil de propagande, que militairement, en vue de la reconquête des terres occupées et surtout de Jérusalem.
    Dès l'été 1174, tandis que les émirs réunis à Damas autour du jeune as-Saleh discutent du meilleur moyen de tenir tête à Saladin, envisageant même de s'allier aux Franj, le maître du Caire leur adresse une lettre de véritable défi où, occultant souverainement son conflit avec Noureddin, il se présente sans hésiter comme le continuateur de l'œuvre de son suzerain et le fidèle gardien de son héritage.
Si notre regretté roi, écrit-il, avait décelé parmi vous un homme aussi digne de confiance que moi, n'est-ce pas à lui qu'il aurait attribué l'Egypte, qui est la plus importante de ses provinces? Soyez-en convaincus, si Noureddin n'était pas mort aussi tôt, c'est moi qu'il aurait chargé d'éduquer son fils et de veiller sur lui. Or je vois que vous vous comportez comme si vous étiez les seuls à servir mon maître et son fils, et que vous essayez de m'exclure. Mais je vais venir bientôt. Je vais accomplir, pour honorer la mémoire de mon maître, des actes qui laisseront des traces, et chacun de vous sera puni de son inconduite.
    On reconnaît difficilement ici l'homme circonspect des années précédentes, comme si la disparition du maître avait libéré en lui une agressivité longtemps contenue. Il est vrai que les circonstances sont exceptionnelles, car ce message a une fonction précise : c'est la déclaration de guerre par laquelle Saladin commence la conquête de la Syrie musulmane. Lorsqu'il envoie son message, en octobre 1174, le maître du Caire est déjà en route pour Damas à la tête de sept cents cavaliers. C'est peu pour assiéger la métropole syrienne, mais Youssef a bien calculé son affaire. Effrayés par le ton inhabituellement violent de sa missive, as-Saleh et ses collaborateurs ont préféré se replier sur Alep. Traversant sans encombre le territoire des Franj, en empruntant ce que l'on peut appeler désormais la « piste Chirkouh », Saladin arrive fin octobre devant Damas, où des hommes liés à sa famille s'empressent d'ouvrir les portes pour l'accueillir. 
    Encouragé par cette victoire acquise sans un coup de sabre, il continue sur sa lancée. Laissant la garnison de Damas sous les ordres d'un de ses frères, il se dirige vers la Syrie centrale où il s'empare de Homs et de Hama. Au cours de cette campagne éclair, nous dit Ibn al-Athir, Salaheddin prétendait agir au nom du roi as-Saleh, fils de Noureddin. Il disait que son but était de défendre le pays contre les Franj . Fidèle à la dynastie de Zinki, l'historien de Mossoul est pour le moins méfiant à l'égard de Saladin, qu'il accuse de

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