Les croisades vues par les arabes
ces discordes. Lorsque le courant « oriental » dirigé par Raymond semble triompher à Jérusalem, il se fait conciliant. En 1184, Baudouin IV est entré dans la phase ultime de la lèpre. Ses pieds et ses jambes sont flasques et ses yeux éteints. Mais il ne manque ni de courage ni de bon sens et fait confiance au comte de Tripoli, qui s'efforce d'établir des rapports de bon voisinage avec Saladin. Le voyageur andalou Ibn Jobair, qui visite Damas cette année-là, se montre surpris de voir qu'en dépit de la guerre les caravanes vont et viennent aisément du Caire à Damas à travers le territoire des Franj. « Les chrétiens, constate-t-il, font payer aux musulmans une taxe qui est appliquée sans abus. Les commerçants chrétiens, à leur tour, paient des droits sur leurs marchandises quand ils traversent le territoire des musulmans. L'entente entre eux est parfaite et l'équité est respectée. Les gens de guerre s'occupent de leur guerre mais le peuple demeure en paix. »
Saladin, loin d'être pressé de mettre fin à cette coexistence, se montre même disposé à aller plus loin sur le chemin de la paix. En mars 1185, en effet, le roi lépreux meurt à vingt-quatre ans, laissant le trône à son neveu, Baudouin V, un enfant de six ans, et la régence au comte de Tripoli, qui, sachant qu'il a besoin de temps pour consolider son pouvoir, s'empresse d'envoyer des émissaires à Damas pour demander une trêve. Saladin, qui se sait tout à fait en mesure d'engager un combat décisif avec les Occidentaux, prouve, en acceptant de conclure une trêve de quatre ans, qu'il ne cherche pas l'affrontement à tout prix.
Mais lorsque l'enfant-roi meurt un an plus tard, en août 1186, le rôle du régent est remis en cause. La mère du petit monarque , explique Ibn al-Athir, s'était éprise d'un Franj récemment arrivé d'Occident, un certain Guy. Elle l'avait épousé et, à la mort de l'enfant, elle mit la couronne sur la tête de son mari, fit venir le patriarche, les prêtres, les moines, les hospitaliers, les Templiers, les barons, leur annonça qu'elle avait transmis le pouvoir à Guy et leur fit jurer de lui obéir. Raymond refusa et préféra s'entendre avec Salaheddin . Ce Guy est le roi Guy de Lusîgnan, un bel homme parfaitement falot, dénué de toute compétence politique ou militaire, toujours prêt à se ranger à l'avis de son dernier interlocuteur. Il n'est en fait qu'une marionnette entre les mains des « faucons », dont le chef de file est le « brins Amat », Renaud de Châtillon.
Après son aventure chypriote et ses exactions en Syrie du Nord, ce dernier a passé quinze ans dans les prisons d’Alep avant d'être relâché en 1175 par le fils de Noureddin. Sa captivité n'a fait qu'aggraver ses défauts. Plus fanatique, plus avide, plus sanguinaire que jamais, Arnat suscitera à lui seul plus de haine entre les Arabes et les Franj que des décennies de guerres et de massacres. Après sa libération, il n'est pas parvenu à reprendre Antioche, où règne son beau-fils Bohémond III. Il s'est donc installé dans le royaume de Jérusalem où il s'est empressé d'épouser une jeune veuve qui lui a amené en dot les territoires situés à l'est du Jourdain, notamment les puissantes forteresses de Kerak et de Chawbak. Allié aux Templiers et à de nombreux chevaliers nouvellement arrivés, il exerce sur la cour de Jérusalem une influence grandissante que seul Raymond parvient pendant un temps à contrebalancer. La politique qu'il cherche à imposer est celle de la première invasion franque : se battre sans arrêt contre les Arabes, piller et massacrer sans ménagement, conquérir de nouveaux territoires. Pour lui, toute conciliation, tout compromis est une trahison. Il ne se sent tenu par aucune trêve, par aucune parole. Que vaut d'ailleurs un serment prêté à des infidèles? expli- que-t-il cyniquement.
En 1180, un accord avait été signé entre Damas et Jérusalem garantissant la libre circulation des biens et des hommes dans la région. Quelques mois plus tard, une caravane de riches commerçants arabes qui traversait le désert de Syrie en direction de La Mecque était attaquée par Renaud, qui faisait main basse sur la marchandise. Saladin s'en plaignit à Baudouin IV, mais celui-ci n'osa sévir contre son vassal. En automne 1182, c'était plus grave : Arnat décidait d'aller razzier La Mecque elle-même. S'étant embarquée à Eilat, alors petit port de pêche arabe situé sur le
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