Les croisades vues par les arabes
un solide mur de sabres et de lances. Les survivants sont refoulés en désordre vers la colline, où ils se mêlent aux chevaliers, sûrs désormais de leur défaite. Aucune ligne de défense ne peut tenir. Et pourtant ils continuent de se battre avec le courage du désespoir. Raymond, à la tête d'une poignée de ses proches, essaie de se frayer un passage à travers les lignes musulmanes. Les lieutenants de Saladin, qui l'ont reconnu, lui permettent de s'échapper. Il poursuivra sa chevauchée jusqu'à Tripoli.
Après le départ du comte, les Franj faillirent capituler, raconte Ibn aI-Athir. Les musulmans avaient mis le feu à l'herbe sèche, et le vent soufflait la fumée dans les yeux des chevaliers. Assaillis par la soif, les flammes, la fumée, la chaleur de l'été et le feu du combat, les Franj n'en pouvaient plus. Mais ils se dirent qu'ils ne pourraient échapper à la mort qu'en l'affrontant. Ils lancèrent alors des attaques si violentes que les musulmans faillirent céder. Cependant, à chaque assaut, les Franj subissaient des pertes et leur nombre diminuait. Les musulmans s'emparèrent de la vraie croix. Ce fut, pour les Franj, la plus lourde des pertes, car c'est sur elle, prétendent-ils, que le Messie, la paix soit sur lui, aurait été crucifié.
Selon l'islam, c'est seulement en apparence que le Christ a été crucifié, car Dieu aimait trop le fils de Marie pour permettre qu'un supplice aussi odieux lui fût infligé.
En dépit de cette perte, les derniers survivants parmi les Franj, près de cent cinquante de leurs meilleurs chevaliers, continuent à se battre vaillamment, se retranchant sur un terrain élevé, au-dessus du village de Hittin, pour dresser leurs tentes et organiser la résistance. Mais les musulmans les pressent de toutes parts et seule la tente du roi reste debout. La suite est racontée par le propre fils de Saladin, al-Malik al-Afdal, qui a alors dix-sept ans.
J'étais, dit-il, aux côtés de mon pere a la bataille de Hittin, la première à laquelle j'ai assisté. Lorsque le roi des Franj se retrouva sur la colline, il lança avec ses gens une farouche attaque qui fit reculer nos propres troupes jusqu'à l'endroit où se tenait mon père. Je le regardais alors. Il était triste, crispé, et tirait nerveusement sur sa barbe. Il s'avança en criant : « Satan ne doit pas gagner! » Les musulmans partirent de nouveau à l'assaut de la colline. Quand je vis les Franj reculer sous la pression de nos troupes, je hurlai de joie : « Nous les avons battus! » Mais les Franj attaquèrent de plus belle, et les nôtres se retrouvèrent à nouveau auprès de mon père. Il les poussa cette fois encore à l'assaut, et ils forcèrent l'ennemi à se retirer vers la colline. Je hurlai à nouveau : « Nous les avons battus! » Mais mon père se tourna vers moi et me dit : « Tais-toi! Nous ne les aurons écrasés que lorsque cette tente là-haut sera tombée! » Avant qu'il ait pu terminer sa phrase, la tente du roi s’écroula. Le sultan descendit alors de cheval, se prosterna et remercia Dieu en pleurant de joie.
C'est au milieu des cris d’allégresse que Saladin se relève, reprend sa monture et se dirige vers sa tente. On conduit à lui les prisonniers de marque, notamment le roi Guy et le prince Arnat. L'écrivain Imadeddin al-Asfahani, conseiller du sultan, assiste à la scène.
Salaheddin, raconte-t-il, invita le roi à s'asseoir près de lui, et lorsque Arnat entra à son tour il l'installa près de son roi et lui rappela ses méfaits : « Que de fois tu as juré puis violé tes serments, que de fois tu as signé des accords que tu n'as pas respectés! » Arnat fit répondre par l'interprète : « Tous les rois se sont toujours comportés ainsi. Je n'ai rien fait de plus. » Pendant ce temps, Guy haletait de soif, il dodelinait de la tête comme s'il était ivre, et son visage trahissait une grande frayeur. Salaheddin lui adressa des paroles rassurantes et fit amener de l'eau glacée qu'il lui offrit. Le roi but, puis il présenta le reste à Arnat. qui se désaltéra à son tour. Le sultan dit alors à Guy : « Tu n'as pas demandé ma permission avant de lui donner à boire. Cela ne m'oblige donc pas à lui accorder la grâce. »
Selon la tradition arabe, en effet, un prisonnier a qui l'on offre à boire ou à manger doit avoir la vie sauve, un engagement que Saladin ne saurait évidemment pas prendre en faveur de l'homme qu'il a juré de tuer de ses propres mains. Imadeddin
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