Les croisades vues par les arabes
amèrement cette décision. Mais, pour le moment, la marche triomphale se poursuit. Le 4 septembre, Ascalon capitule, puis Gaza, qui appartenait aux Templiers. Au même moment, Saladin dépêche quelques émirs de son armée vers la région de Jérusalem où ils s'emparent de plusieurs localités, dont Bethléem. Désormais, le sultan n'a plus qu'un seul désir : couronner sa campagne victorieuse, ainsi que sa carrière, par la reconquête de la Ville sainte.
Pourra-t-il, à l'instar du calife Omar, entrer dans ce lieu vénéré sans destruction et sans effusion de sang? Aux habitants de Jérusalem, il envoie un message les invitant à engager des pourparlers sur l'avenir de la cité. Une délégation de notables vient le rencontrer à Ascalon. La proposition du vainqueur est raisonnable : on lui remet la ville sans combat, les habitants qui le désirent pourront partir en emportant tous leurs biens, les lieux de culte chrétiens seront respectés, et ceux qui, à l'avenir, voudront venir en pèlerinage ne seront pas inquiétés. Mais, à la grande surprise du sultan, les Franj répondent avec autant d'arrogance qu'au temps de leur puissance. Livrer Jérusalem, la cité où Jésus est mort ? Il n'en est pas question! La ville est à eux et ils la défendront jusqu'au bout.
Alors, jurant qu'il ne prendra Jérusalem que par l'épée, Saladin ordonne à ses troupes dispersées aux quatre coins de la Syrie de se regrouper autour de la Ville sainte. Tous les émirs accourent. Quel musulman ne voudrait pas pouvoir dire à son créateur au jour du Jugement : j'ai combattu pour Jérusalem! Ou mieux encore : je suis mort en martyr pour Jérusalem! Sala- din, à qui un astrologue avait prédit un jour qu'il perdrait un œil s'il entrait dans la Ville sainte, avait répondu : « Pour m'en emparer, je suis prêt à perdre les deux yeux! »
A l'intérieur de la cité assiégée, la défense est assurée par Balian d'Ibelin, maître de Ramleh, un seigneur qui , selon Ibn al-Athir, avait chez les Franj un rang à peu près égal à celui du roi . Il avait pu quitter Hittin peu avant la défaite des siens, puis s'était réfugié à Tyr. Sa femme se trouvant à Jérusalem, il avait, durant l'été, demandé à Saladin l'autorisation d'aller la chercher, tout en promettant de ne pas porter d'armes et de ne passer qu'une seule nuit dans la Ville sainte. Arrivé là, on l'avait toutefois supplié d'y rester, car personne d'autre n'avait assez d'autorité pour diriger la résistance. Mais Balian, qui était homme d'honneur et ne pouvait accepter de défendre Jérusalem et son peuple sans trahir son accord avec le sultan, s'en était remis à Saladin lui-même pour savoir ce qu'il devait faire, et le sultan, magnanime, l'avait délié de son engagement. Si le devoir lui imposait de rester dans la Ville sainte et de porter les armes, qu'il le fasse! Et, puisque Balian, trop occupé à organiser la défense de Jérusalem, ne pouvait plus mettre sa femme à l'abri, le sultan lui avait procuré une escorte pour la conduire à Tyr!
Saladin ne refusait rien à un homme d'honneur, fût-il le plus farouche de ses ennemis. Il est vrai que dans ce cas précis le risque est minime. En dépit de sa bravoure, Balian ne peut sérieusement inquiéter l'armée musulmane. Si les remparts sont solides et la population franque profondément attachée à sa capitale, les effectifs des défenseurs se limitent à une poi- gnée de chevaliers et à quelques centaines de bourgeois sans aucune expérience militaire. Par ailleurs, les chrétiens orientaux, orthodoxes et jacobites, qui vivent à Jérusalem, sont favorables à Saladin, surtout le clergé, qui a été constamment bafoué par les prélats latins; l'un des principaux conseillers du sultan est un prêtre orthodoxe du nom de Youssef Batit. C'est lui qui s'occupe des contacts avec les Franj, ainsi qu'avec les communautés chrétiennes orientales. Peu avant le début du siège, le clergé orthodoxe a promis à Batit d'ouvrir les portes de la cité si les Occidentaux s'entêtaient trop longtemps.
En fait, la résistance des Franj sera courageuse mais brève, et sans illusions. L'encerclement de Jérusalem commence le 20 septembre. Six jours plus tard, Saladin, qui a installé son camp sur le mont des Oliviers, demande à ses troupes d'accentuer leur pression en vue de l'assaut final. Le 29 septembre, les sapeurs parviennent à ouvrir une brèche au nord de l'enceinte, très près de
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