Les Dames du Graal
Gauvain qui le libère, faisant disparaître les êtres fantasmatiques qui encombrent sa vision. C’est également Gauvain qui, avec l’aide de cette fée Lorie, symbole d’une connaissance intérieure, va lever les derniers sortilèges, et délivrer la Dame de Rigomer. Celle-ci, pour le récompenser, lui propose de l’épouser. Mais Gauvain refuse, prétextant qu’il a d’autres missions à accomplir : il mènera alors la Dame de Rigomer à la cour d’Arthur et lui procurera un mari qui sera digne d’elle. Dans cette histoire, Gauvain se présente comme un « marieur », c’est-à-dire que, propriétaire moral d’une femme, il est seul autorisé à la donner à qui il veut, compte tenu de la valeur de celui qu’il juge comme le plus apte à servir celle qui malgré tout demeurera toujours sa « dame », sa domina . Le thème est fréquent dans les anciennes épopées d’Irlande, en particulier dans les innombrables récits concernant le héros Cûchulainn : le héros refuse, pour des raisons diverses, toute union qui ne serait pas conforme à son destin et donne à un homme qu’il choisit pour ses qualités la femme qui est amoureuse de lui et qui, en quelque sorte, se marie avec lui par personne interposée.
Mais les femmes que rencontre Gauvain au cours de ses errances ne sont pas toutes douées d’aussi bonnes dispositions. En fait, celles-ci dépendent la plupart du temps du caractère spécifique de chacun de ces êtres féminins, car ils sont autant de symboles et ont tous un rôle dans le déroulement de la quête. Comme Perceval, Gauvain est en proie à des femmes qui ne sont que des apparences et dont la véritable nature est celle des démons. Mais il y en a d’autres qui ont parfois de bien perverses motivations.
Ainsi en est-il dans Perlesvaux , cet étrange roman anonyme des environs de l’an 1200, ouvrage de propagande en faveur du Christianisme rédigé sous l’influence des moines de Cluny, mais centré autour de l’abbaye de Glastonbury, et qui recèle bien des éléments issus en droite ligne d’une probable version païenne de la Quête , dont le Peredur gallois est l’aspect populaire.
Gauvain, traversant une forêt, se trouve en présence d’une superbe forteresse et demande à un vieux chevalier ce qu’il en est de celle-ci. L’autre lui répond que c’est un château qui appartient à la Pucelle Orgueilleuse – appelée ailleurs la Dame sans Égale –, laquelle n’a jamais daigné demander son nom à aucun chevalier de passage. Et le vieillard ajoute : « C’est la plus belle femme ; elle ne s’est jamais mariée et n’a jamais daigné aimer un chevalier à moins d’avoir entendu dire qu’il était le meilleur chevalier du monde « (trad. Christiane Marchello-Nizia).
Gauvain se laisse convaincre de passer la nuit dans le château et on le présente à la Dame sans Égale. Celle-ci accueille le chevalier de façon fort civile et lui fait visiter sa chapelle. Gauvain remarque quatre tombeaux magnifiques et trois ouvertures pratiquées dans le mur du côté droit, devant lesquelles brûlent des chandelles qui répandent de doux parfums. Constatant son étonnement la dame lui explique alors que ces tombeaux sont vides mais qu’ils sont destinés, les trois premiers aux « trois meilleurs chevaliers du monde » qu’elle aime d’amour, et le quatrième à elle-même. Et Gauvain est quelque peu surpris lorsque la dame lui cite les noms des trois chevaliers : il s’agit en effet de lui-même, de Lancelot du Lac et de Perlesvaux (Perceval).
Et la dame de continuer ses explications : « Dans ces trois cavités que vous apercevez se trouvent les reliques que j’y ai fait mettre par amour pour eux. » Elle montre ensuite un curieux mécanisme aménagé dans le mur qui permet de faire tomber une lame d’acier très aiguisée devant les trois cavités, une véritable guillotine. « Voici de quelle façon je leur trancherai la tête quand ils voudront adorer les reliques qui sont dans les niches. Puis je ferai mettre leurs corps dans ces trois tombeaux… Puisque je ne puis avoir mon bonheur d’eux de leur vivant, je l’aurai par leur mort ; et quand je mourrai, au moment où Dieu l’aura décidé, je me ferai mettre dans le quatrième tombeau pour jouir de la compagnie de ces trois bons chevaliers » ( Perlesvaux , trad. Marchello-Nizia).
Il est certain que Gauvain, fort perplexe, se félicite de la coutume instaurée par la dame : ne jamais
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