Les Dames du Graal
1100 sur l’archivolte de la cathédrale de Modène, donc bien avant que Chrétien de Troyes ne le raconte dans son Chevalier de la Charrette . L’aventure ainsi décrite demeure assez mystérieuse. Méléagant, fils du roi de Gorre, que Chrétien lui-même, dans son récit antérieur Érec et Énide , appelle Maheloas, « un haut baron, seigneur de l’Île de Voire », est un personnage mythologique correspondant à une divinité noire , une sorte de dieu de l’Autre Monde. Son nom est celtique, Maelwas en gallois, ce qui signifie « habile serviteur ». Mais serviteur de qui ? On ne peut que penser à l’Ankou des légendes bretonnes, qui est le dernier mort de l’année écoulée, chargé de ramasser dans sa charrette les âmes des défunts pendant toute l’année suivante. Quant au royaume de Gorre, ou de Voire, c’est évidemment l’ Urbs Vitrea des chroniques latines du Pays de Galles, autrement dit Kaer Wydr , la « Cité de Verre », symbole fréquent de l’Autre Monde. Le rapt de Guenièvre et son emprisonnement dans la cité de Gorre sont une catastrophe pour le royaume d’Arthur privé de son âme, condamné ainsi à l’endormissement. Le thème est évidemment mythologique, mais curieusement, les adaptateurs en prose de la légende, au XIII e siècle, en ont fait une illustration de la captivité d’Aliénor d’Aquitaine, par la volonté de son mari, le roi Henry II. Sa délivrance est obtenue par Richard Cœur de Lion, le roi chevalier, le fils favori de la reine, qui a peut-être servi de modèle à Lancelot du Lac.
Car Guenièvre est délivrée. Dans la légende primitive, telle qu’on la découvre à Modène, ce sont trois chevaliers qui se lancent dans l’aventure. Leurs noms sont gravés dans la pierre : Galvagnus , c’est-à-dire Gauvain, Galvariun , inconnu des textes littéraires, et Che , c’est-à-dire Kaï (ou Keu), le sénéchal, frère de lait d’Arthur. Dans le récit de Chrétien, on retrouve Gauvain et Kaï, mais Lancelot du Lac est substitué au mystérieux Galvariun.
Kaï est fait prisonnier à son tour. Lancelot accomplit toutes sortes de prouesses et pénètre dans la cité de Gorre, mais finalement, c’est Gauvain qui ramène la reine à la cour d’Arthur. La conclusion de cet épisode est heureuse : le royaume a retrouvé son âme, et Lancelot – mis en avant par Chrétien – parachève l’œuvre en éliminant le maléfique Méléagant en combat singulier.
Il y a aussi des crises entre Guenièvre et Lancelot. La reine est d’une atroce jalousie envers son amant. Bien souvent, des situations équivoques où se trouve plongé le meilleur chevalier du monde font croire à Guenièvre qu’elle est trahie. En fait, elle ne l’est que deux fois, à cause de la fille du Roi Pêcheur, la « Porteuse de Graal ». Encore faut-il se souvenir que cet « écart » de Lancelot, a été provoqué par magie : on avait donné à la fille du Roi Pêcheur l’aspect de Guenièvre, cela parce qu’il fallait que de cette union naquît Galaad, le « découvreur » du Graal.
Le départ des chevaliers d’Arthur pour la Quête du Graal est un moment crucial pour Guenièvre qui voit ainsi disparaître les compagnons de la Table Ronde et son Lancelot auquel elle tient plus que jamais. Mais, en « dame courtoise », elle ne peut que souhaiter de hauts faits pour son héros, car il ne peut y avoir amour sans admiration. Et, lors du retour de la Quête, sa passion pour Lancelot redouble, de telle sorte que les amants en oublient toute prudence.
C’est alors que survient l’épisode, popularisé au XIX e siècle par les Préraphaélites anglais, de la « Demoiselle d’Escalot ». Lancelot blessé a été soigné par une jeune fille qui en est tombée follement amoureuse. Mais Lancelot, obsédé par l’image de Guenièvre, a fait comprendre à la demoiselle que son cœur n’était pas libre. Cependant, les circonstances sont telles qu’à la cour d’Arthur, tout un chacun est persuadé que Lancelot a découvert le grand amour de sa vie. Cela permet d’ailleurs à Guenièvre d’être lavée de tout soupçon face aux jaloux qui dénonçaient sa liaison adultère avec Lancelot. Mais, en contrepartie, Guenièvre traverse une douloureuse période de jalousie. Ce n’est que lorsque Arthur et ses chevaliers découvrent dans une barque le corps de la Demoiselle d’Escalot, avec un parchemin expliquant qu’elle est morte d’amour à la suite du refus de
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