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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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s’embarquant côte à côte pour la Syrie, lieutenants dans la même compagnie de tirailleurs algériens. Je ne savais vraiment pas très bien où ils pourraient rencontrer les « hordes de Hitler » dont ils me parlaient. Mais leurs trente lignes retentissaient des piaffements de mulets, des tintements de gamelles, des cris d’Arbis, des coups de clairon dans le ciel bleu, de toute la gaîté d’un départ militaire qui tournait le dos aux tranchées fatidiques de l’Est. J’enrageai d’envie pendant trois jours.
    J’avais reçu la visite d’un de mes plus chers compagnons de bohème étudiante, entré dans l’armée un peu au hasard, après des années de mélomanie, de littérature, de dilettantisme devant Rembrandt et Cézanne. On ne pouvait imaginer un esprit demeuré plus indépendant et plus primesautier sous l’uniforme, du reste très brillant et admirablement appliqué dans son métier, ayant été pour les blindés depuis des années l’un des plus précieux collaborateurs du ministère de la Guerre. Il m’apportait les réactions les plus éminentes et les plus autorisées de l’armée après le foudroyant knock-out de la Pologne. Les grands maîtres des chars français n’étaient aucunement troublés. Un bataillon de nos engins avait, paraît-il combattu là-bas. L’expérience était concluante, confirmant toutes les prévisions. Nos tanks venaient de faire une hécatombe des médiocres blindages allemands. Encore n’avions-nous point mis en ligne nos meilleurs modèles. C’était en somme une victoire technique pour la France. Le reste passait au second plan.
    Le curieux de notre cas, selon les sommités militaires, était qu’il avait fallu que nous déclarassions la guerre pour nous mettre enfin à la préparer. Mais cela n’était pas autrement important, puisque l’on estimait en haut lieu que cette guerre durerait quelque dix ans. Nous ne la commencerions pas avant 1942. Nous ne pouvions manquer de la gagner.
    On considérait aussi avec attendrissement dans les états-majors cette peur de l’aviation allemande que l’on avait eue durant les premiers jours, quand on redoutait, bonne farce, que les bombardiers allemands ne vinssent arroser nos trains. Fallait-il que l’on eût été détraqué par la littérature de Paris-Soir   !
    Je restais plus que perplexe, pour ne pas dire consterné, devant ces révélations. Comment des patriotes pouvaient-ils s’en remettre au temps, avec cette tranquillité, pour trouver l’issue de notre souricière, nous prêter avec cette assurance une initiative indéfinie, oublier à ce point dans leurs bottes de professionnels, pour qui la guerre est le temps d’élection comme le long cours pour le marin, à quelle mortelle catastrophe un conflit interminable acculerait un pays déjà aux trois quarts épuisé dans son sang, dans son or, dans son âme, et que l’état de contrainte guerrière venait de remettre en trois mois sous la coupe des plus stupides criminels, des plus ignobles malfaiteurs ?
    Que pourraient-ils dire s’il leur arrivait de relire Joffre : « La défensive passive conduit infailliblement à la défaite »
    * * *
    Mais je voyais apparaître aussi à tout bout de champ nos deux plus proches mobilisés de Je Suis Partout notre nouveau secrétaire de rédaction le sous-lieutenant Henri Poulain, Normand [malicieux,] réfractaire de bonne souche, [bienheureusement] relégué à vingt-sept ans dans un dépôt de la banlieue parisienne par le mystère des affectations, sans avoir esquissé pour cela la moindre démarche ; notre ami le capitaine Henri Lebre, ancien cuirassier à pied et héros magnifique de la Grande Guerre, pour cette présente censeur de trois feuilles de chou à la place de Senlis. Chaque jour, le benjamin et le vétéran ajoutaient un trait au tableau véridique de la nation en armes.
    Il fallait entendre Lebre, lorsque j’esquissais une faible réplique :
    — Tu me fais rigoler, mon pauvre vieux, avec ton « Harmée Française ». Il n’y a plus d’armée, rien. Tout ça est vidé, couilles et cervelles, comme une noix sèche. Comme dit Laubreaux : le symbole, c’est le nom de Gamelin, diminutif de gamelle. Ah ! je ne te donne pas quinze jours quand ils t’auront récupéré ! »
    Je ne voulais pourtant pas capituler tout à fait. J’étais sans illusions sur les bêtises, la gabegie que la caserne me réserverait avant peu. Je ne connaissais que trop bien l’histoire de la

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