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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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et de la guerre qu’on ne savait toujours par où commencer, et de la victoire, et de la paix ! La France venait de trouver une inquiétude à sa taille.
    J’avais reçu au printemps précédent, avec la plupart des camarades de mon bord, un bouquin sur La Guerre Juive, une compilation banale comme il nous en arrivait une demi-douzaine par semaine, mais se distinguant par une pompeuse dédicace à Gaxotte et à Je Suis Partout. Je m’apprêtais à rendre la politesse par un bref compte rendu. Pujo qui m’avait vu le livre en mains m’en dissuada : « C’est le travail d’un agent allemand. J’en suis sûr. » Pour ne point alarmerl’ Action Française, on laissa tomber La Guerre Juive.
    J’avais oublié jusqu’au nom de son auteur quand les journaux révélèrent qu’un certain Ferdonnet, journaliste antisémite, était l’un des speakers français de Radio-Stuttgart, l’un des gaillards à la voix grasseyante, aux plaisanteries assez épaisses, mais probablement bien choisies, puisque dix millions de Français s’en délectaient trois ou quatre fois par jour. Le lendemain, la guerre avait enfin son héros populaire chez nous.
    Il ne manquait plus à l’estimable Ferdonnet que le patronage de Maurice Pujo. Celui-ci, avec la joie du bon détective content de son flair, s’empressait d’apporter ses révélations : « J’ai bien connu Ferdonnet. Je l’ai reçu souvent dans mon bureau. C’était un garçon mal dégrossi. J’ai bien fini par voir qu’il travaillait pour l’Allemagne. Mais vraiment, je ne lui aurai pas cru l’étoffe du grand traître. »
    Quelques semaines plus tard, le sieur de Kerillis s’emparait triomphalement de cette prose opportune. La campagne des nazis de Je Suis Partout et deL’ Action Française reprenait à grand orchestre.
    Un marmiteux du plus obscur journalisme se voyait promu au rang de grand banquier de la propagande allemande. Il devenait le cerveau d’un gigantesque réseau d’espionnage et de conspiration. Le maréchal Pétain lui-même avait donné dans ses filets. La maison Ferdonnet et la maison Je Suis Partout, étroitement concertées, avaient travaillé à l’hitlérisation du pays.
    La division des Allemagnes dans un camp, le roman de Ferdonnet à l’autre extrême : l’opinion de la France en guerre était bien nourrie.
    Certes, il y avait des « nazis » parmi nous, si c’était être nazi que de détester [haïr] l’ennemi juif, abhorrer cette guerre incohérente qui ne pouvait plus que nous nuire, appeler désespérément la paix au fond de son cœur, bref, ne penser et ne sentir que selon l’intérêt suprême de la patrie. Mais notre francophilie ne pouvait qu’apparaître [détestable et] redoutable aux yeux des bandes internationales dont Kerillis était l’instrument.
    Le prétexte servait à une double diversion, au moment où il fallait trouver à droite le pendant aux quelques communistes que le ministère feignait de pourchasser et où l’affaire de Finlande échauffait les têtes. Kerillis y ajoutait sa propre mythomanie, les folles sécrétions de ce qui lui servait d’encéphale, la frénésie hystérique où le précipitaient nos seuls noms.
    Tout cela était donc assez logique, et en même temps d’une extravagante idiotie, puisque Maurras se voyait traité en agent de l’Allemagne ; d’une affreuse ignominie, puisque de loyaux soldats se trouvaient en pleine guerre accusés d’intelligence avec l’ennemi.
    Après des circonlocutions fielleuses, Kerillis clouait Maurras, Brasillach, Cousteau et moi-même au pilori de son Époque.
    J’avais à répondre en mon nom et en celui de mes amis soldats et muets par ordre. Riposte facile. Kerillis brandissait en guise de dossier, et pour cause, trois placards de publicité à 1 350 francs d’un livre de Ferdonnet, parus dans Je Suis Partout en même temps que dans trois autres hebdomadaires dont il ne soufflait mot, plus une kyrielle de citations de nos proses, truquées et tronquées grossièrement à coups de ciseaux. Cousteau devenait ainsi coupable d’avoir exigé la rupture des relations franco-américaines pour un filet humoristique où il demandait, à propos de l’annexion par les États-Unis de deux îlots du Pacifique, s’il ne conviendrait pas de mobiliser la conscience universelle aussi bien contre M. Roosevelt que contre Mussolini. Kerillis tirait l’argument massue contre moi-même d’un reportage sur l’Alsace où je réclamais

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