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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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 Paul Reynaud est charmante sous cet uniforme bleu sombre, et elle a sur sa manche gauche un galon d’or.
    Au siège de 1870, la brigade des inventeurs se faisait forte de chasser les Prussiens en lâchant sur eux une armée de chiens enragés. M. de Kerillis, trépignant d’impatience devant cette guerre sans cadavres, somme M. Daladier de faire construire des pièces portant à cinq cents kilomètres, des avions enlevant mille soldats, des tanks de cinq cents tonnes armés de vingt canons lourds et capables d’écraser « comme des grains de café » les abris bétonnés de la ligne Siegfried.
    Le parti communiste français a été dissous avec pompe. Mais les agents des cellules rouges, précieusement retirés du front, y sabotent l’industrie de guerre pour cent cinquante francs par jour. M. Marcel Cachin siège toujours au Sénat, et soixante députés moscoutaires votent à la Chambre. M. Maurice Thorez, déserteur condamné, se promène chez nos amis de Londres et y a donné une interview au journal stalinien Daily Worker.
    Quelle pâture inépuisable pour un polémiste ! Mais à quoi bon égratigner de la plume, quand il faudrait la torche et la guillotine ?
    À sa première permission, mon ami Brasillach m’a donné rendez-vous aux Deux-Magots. En nous revoyant, lui sous l’uniforme et le béret des forts, au milieu du café, d’une même voix, dans une unisson impeccable, notre premier mot a été : « Quelle connerie ! »
    * * *
    Si désabusé que l’on eût été, on avait encore ouvert un trop grand crédit au régime. On avait voulu supposer que la guerre lui inspirerait au moins une sorte de décence. Il y trouvait au contraire une sécurité nouvelle pour s’afficher plus cyniquement que jamais.
    Toutes les guerres, depuis un siècle, avaient déchaîné le plus bas despotisme, ouvert les écluses à la plus épaisse bêtise. J’étais allé dîner avec Sordet chez Henri Béraud, qui nous disait : « Dans l’autre, à partir de 1915, on avait le sentiment que l’intelligence était devenue un délit. » Cette guerre-ci, née d’une imbécillité sans précédent, se devait de porter à son comble l’arbitraire, le poncif et le crétinisme.
    Deux fois par jour, avec une ponctualité gendarmesque, le Grand Quartier Général paraphait un « état néant » : « Rien à signaler sur l’ensemble du front ». L’inviolabilité des lignes fortifiées était une certitude unanimement acquise : « Le seul coin où l’on est bien sûr qu’il ne se passera rien, c’est sur la frontière de France, où les deux plus grandes armées du monde sont face à face. » Les grands stratèges ne s’émouvaient pas pour si peu. Ils souriaient volontiers de ce paradoxe et professaient qu’il fallait s’accoutumer à concevoir une guerre inédite. Ils n’étaient pas en peine pour découvrir d’excitants dérivatifs du côté de la Turquie, de la Syrie, dont l’armée dans leur bouche s’enflait de semaine en semaine. Ils hochaient leurs têtes lourdes de plans à la Cyrus et à l’Alexandre, en parcourant d’un doigt leste sur la carte tous les déserts de l’Orient. Ou bien des messieurs distingués, sortis des Sciences Politiques, proclamaient : « La guerre se gagnera à Mossoul, et elle se fait à New York. Roosevelt est en train d’abroger le Neutrality Act. C’est plus important que de capturer un million de prisonniers. »
    En attendant, toute la vie, les usines, les armées, les flottes, les parlements, les résolutions inébranlables de deux énormes empires, leurs millions de soldats, leurs milliards chaque jour engloutis aboutissaient à des patrouilles de quinze hommes rampant entre deux buissons pour ne pas prendre un fantassin allemand. On disait même que Gamelin, pour remplir ses loisirs, prescrivait de sa main le détail de ces expéditions. Toutes les fantasmagories géographiques, diplomatiques, sidérurgiques et pétrolières n’y changeraient rien, et pas davantage à Pâques de l’an Quarante qu’à la Trinité de l’an Quarante-trois.
    Je me martelais la tête désespérément contre ces évidences. J’en prenais à témoin le marchand de tabac, le receveur d’autobus qui me considéraient avec cet air d’attention bovine que prend le peuple lorsqu’on essaie d’ajuster dans sa cervelle un embryon de raisonnement. J’avais reçu la lettre de deux hommes heureux, la première de cette année, celle de deux amis lyonnais

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